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BERCEAU D’ÉVÊQUES

de cette expédition, il reprit les raquettes et courut au lac Carihou, à 100 kilomètres au nord-est. Il arriva parmi les Montagnais de ce poste le 25 mars, jour de l’Annonciation. Le bonheur qu’il éprouvait à comparer sa mission de premier messager de la Bonne Nouvelle chez ces païens, avec celle de la divine Marie, lui fit oublier sa fatigue.

Après trois mois d’absence, il rejoint son « angélique compagnon », ainsi qu’il appelle M. Laflèche. Il le trouve occupé à construire leur maisonnette et à défricher le petit jardin.

Le 20 août, il s’embarque « dans un petit canot, avec deux sauvages et un jeune métis », pour un voyage de 360 kilomètres au nord, jusqu’au lac Athabaska.[1].

De retour, le 5 octobre, à l’Île à la Crosse, il voit la maisonnette presque finie et couverte de terre ; mais « encore toute ouverte au froid, à cause des interstices béants entre les troncs d’arbres qui formaient les murs. »

Tous deux se mirent au bousillage.

  1. En passant au Portage la Loche, qui se trouve sur le chemin de l’Île à la Crosse au lac Athabaska, le Père Taché s’arrêta pour donner une courte mission aux néophytes de l’endroit, que M. Thibault avait instruits. Comme il hésitait encore à se risquer dans l’éloquence montagnaise, il pria un trappeur, d’intelligence et de mœurs éprouvées, Antoine Morin, de lui servir d’interprète. Antoine traduisait à la satisfaction de tous. Mais voici qu’au fil d’un sermon le Père Taché se trouve conduit à parler de la chasteté. Il lance le mot et recommande la vertu en question, « vertu, dit-il, qui demande beaucoup de précautions, de prudence, de défiance de l’ennemi, de réserve vis-à-vis des femmes, etc. » Le brave Antoine, qui, sans doute, pratiquait lui-même la chasteté à la façon du bourgeois de Molière, faisant de la prose, sans savoir que c’en était, pérore là-dessus, avec la même assurance que sur le reste :

    — Le Père, explique-t-il, dit qu’il faut faire la chasse d’été. Nous ne devons donc pas nous contenter de la chasse d’hiver, paresseux de Montagnais que nous sommes. Mais attention, mes amis ! La chasse d’été est bien difficile : il faut beaucoup de précautions pour approcher les orignaux dans le bois, car ils entendent de loin. Et puis, défiez-vous de l’ennemi, le dénédjéré, qui vous guette partout dans les broussailles. Fuyez, si vous le voyez. Et puis encore, il ne faut plus emmener les femmes avec nous à la chasse d’été, de peur qu’elles ne mangent les mufles des orignaux et que nous ne puissions plus rien tuer alors… Tout de même, c’est dur ce que dit le petit Père, car c’était bien commode, les femmes, pour faire sécher la viande au soleil, quand les hommes avaient fini de tuer ! Mais, que voulez-vous, le Père a parlé : il faut faire ce qu’il nous dit… »

    Cette aventure apprit de bonne heure au Père Taché qu’il est parfois difficile de n’être pas au-dessus de son auditoire.