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d’air brumeux, d’espace lointain ; les montagnes disparaissent peu à peu dans la brume ; les trois quarts du tableau sont occupés par l’étendue sans premier plan ni arrière-plan… C’est la face même de la terre que nous peignent ici les vieux maîtres Song et jamais elle n’aura été devinée, traduite et aimée comme par eux. Avec de telles œuvres, la peinture chinoise atteint presque le domaine de la métaphysique. »[1]

En tout cas, une telle peinture s’unit à la poésie. « Une poésie, dit un proverbe japonais, est un tableau en paroles. Un tableau est une poésie sans paroles ». Lisez ces vers du peintre Wang-Wei (699-750) :

Les pluies se succèdent sans trêve. Forêt déserte.
La fumée de la ferme s’élève avec peine.

Et le distique célèbre de Wan-Po (648-675) :

Les nuages bas volent avec le canard sauvage solitaire.
L’eau automnale se confond avec le ciel sans fin.

Quel que soit le degré de perfection auquel puisse atteindre un pareil art pictural, il faut avouer qu’il n’a pour nous qu’une valeur assez limitée. Nous nous trouvons en face de deux mondes, dont aucun n’est en état de pénétrer l’autre. Certaines émotions de l’âme orientale ne peuvent trouver en nous qu’un écho assourdi. En réalité, le goût

  1. Histoire de la Chine, René Grousset, p. 249. (Fayard.)