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de maniere que nous prenions en horreur la passion de la vengeance, laquelle est capable de porter à des excès si funestes. Le poëte prétend seulement nous inspirer les sentimens qu’il prête aux personnages vertueux, et encore ne veut-il nous faire épouser que ceux de leurs sentimens qui sont loüables. Or quand on dit que la tragédie purge les passions, on entend parler seulement des passions vitieuses et préjudiciables à la societé. Une tragédie qui donneroit du dégoût des passions utiles à la societé, telles que sont l’amour de la patrie, l’amour de la gloire, la crainte du deshonneur, etc. Seroit aussi vitieuse qu’une tragédie qui rendroit le vice aimable. Il est vrai qu’il est des poëtes dramatiques ignorans dans leur art, et qui sans connoissance des mœurs, représentent souvent le vice comme une grandeur d’ame, et la vertu comme une petitesse d’esprit et de cœur. Mais cette faute doit être imputée à l’ignorance, ou bien à la dépravation de l’artisan, et non point à l’art. On dit du chirurgien qui estropie celui qu’il saigne, qu’il est un mal-adroit, mais sa faute ne décrie point la saignée, et ne décrédite