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opposé dans le jugement qu’ils en portent. Je réponds en second lieu, qu’une tragédie renferme une infinité de tableaux. Le peintre qui fait un tableau du sacrifice d’Iphigenie, ne nous represente sur la toile qu’un instant de l’action. La tragédie de Racine met sous nos yeux plusieurs instans de cette action, et ces differens incidens se rendent réciproquement les uns les autres plus pathétiques. Le poëte nous présente successivement, pour ainsi dire, cinquante tableaux qui nous conduisent comme par dégrez à cette émotion extrême, qui fait couler nos larmes. Cinquante scénes qui sont dans une tragédie doivent donc nous toucher plus qu’une seule scéne peinte dans un tableau ne sçauroit faire. Un tableau ne represente même qu’un instant d’une scéne. Ainsi un poëme entier nous émeut plus qu’un tableau, bien qu’un tableau nous émouve plus qu’une scéne qui representeroit le même évenement, si cette scéne étoit détachée des autres, et si elle étoit luë sans que nous eussions rien vû de ce qui l’a précedée. Le tableau ne livre qu’un assaut à notre ame, au lieu qu’un poëme l’attaque