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au desespoir qu’on lui ait préferé pour remplir un poste éminent & l’objet de ses desirs, celui de ses rivaux qu’il méprisoit davantage, peuvent donc bien interesser vivement ceux qui sçavent par leur propre experience que la passion que le poëte dépeint peut exciter dans le cœur humain ces mouvemens furieux : mais toutes ces agitations, que quelques écrivains nomment la fievre d’ambition, toucheront foiblement les hommes à qui leur tranquillité naturelle a permis de se nourrir l’esprit de reflexions philosophiques, & qui plusieurs fois se sont dit à eux-mêmes que les personnes qui distribuent les emplois se déterminent souvent dans tous les païs & dans tous les tems par des motifs injustes ou frivoles. Ce qu’ils sçavent du passé, ce qu’ils prévoïent de l’avenir, les empêche de s’étonner de ce qu’ils voïent. Peu mortifiez, peu surpris même des préferences les plus bizarres, ils sont mal disposez à entrer avec affection dans les peines d’un personnage que la promotion d’un concurrent fait sortir de son bon sens. Pourquoi se desesperer si fort, diront-ils, pour un malheur aussi commun parmi les hommes que la fievre ?