Page:Dubos - Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée
2
Reflexions critiques

La représentation pathetique du sacrifice de la fille de Jepthé enchassée dans une bordure, fait le plusbel ornement d’un cabinet qu’on a voulu rendre agréable par les meubles. On neglige pour contempler ce tableau tragique les sujets grotesques & les compositions les plus riantes des peintres galands. Un poëme, dont le sujet principal est la mort violente d’une jeune Princesse, entre dans l’ordonnance d’une fête ; & l’on destine cette tragedie à faire le plus grand plaisir d’une compagnie qui s’assemblera pour se divertir. Generalement parlant les hommes trouvent encore plus de plaisir à pleurer, qu’à rire au théatre.

Enfin plus les actions que la poësie & la peinture nous dépeignent, auroient fait souffrir en nous l’humanité si nous les avions vûës veritablement, plus les imitations que ces Arts nous en présentent ont de pouvoir sur nous pour nous attacher. Ces actions, dit tout le monde, sont des sujets heureux. Un charme secret nous attache donc sur les imitations que les Peintres & les Poëtes en sçavent faire, dans le tems même que la nature témoigne par un fremissement interieur qu’elle se souleve contre son propre plaisir.