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avoit chez lui une grande compagnie dont étoit le gendre de la maison. Sur le minuit, & quand chacun voulut se retirer, Léon accompagna ce gendre jusques à sa chambre, & là il lui presenta encore à boire. Le Barbare lui dit en plaisantant & en buvant un coup : Mon ami, le Fac-totum du beau-pere, tu as bien la mine d’être un éveillé qui par un beau matin enfourchera sans mot dire à personne, le meilleur cheval de l’écurie de la maison, dans l’intention, innocente au fond, d’aller faire admirer ta belle monture aux gens de ton Pays. Parlons plus sérieusement, quel jour t’enfuiras-tu ? Léon répondit sans s’émouvoir, bon, je pars cette nuit. L’avis est important, repartit le Franc, & vaut bien qu’on y fasse attention. Après vous en avoir remercié, je vais donner ordre à mes gens d’avoir l’œil au guet, afin qu’un aussi grand homme de bien, que tu me parois l’être, ne soit pas exposé au malheur de fourrer, en faisant sa malle sans lumiere, quelques hardes à moi, parmi les siennes. La conversation finit, comme elle avoit commencé, en plaisantant. Tout le monde étant endormi, Léon appella son compagnon de fortune, & les chevaux étant sellés, il lui demanda s’il ne s’étoit point pourvû de quelques armes qui servissent à empêcher le monde qui les rencontreroit, de les reconnoître pour des esclaves fugitifs. Si je me suis pourvû d’armes, répondit Attalus, je n’en ai pas d’autres que ma demi-pique ; Léon eut dans cette conjoncture, assez de courage & de résolution pour entrer dans la chambre de son Maître, afin de lui prendre son bouclier & sa pertuisane. Le Barbare se réveillant en sursaut, s’écria : qui va là ? C’est moi, répondit Leon, il est déja heure de mener les chevaux à la pâture, & Attalus que je veux faire lever pour les y conduire, est encore si endormi, pour avoir trop bû hier, que je ne puis tirer aucune raison de lui. Fais, comme tu voudras, répondit notre Barbare en se rendormant. Léon emporta donc avec lui les armes qu’il étoit venu chercher, & après les avoir données à Attalus, l’un & l’autre ils se mirent en devoir d’ouvrir la grande porte de la maison, qu’on avoit coutume de bien fermer tous les soirs, & à laquelle eux-mêmes ils avoient aidé à mettre les verroux à l’entrée de la nuit. Cependant elle se trouva ouverte comme par miracle. Nos fugitifs après avoir remercié le Ciel d’un présage si favorable, monterent chacun sur un bon cheval, & ils en prirent encore un troisiéme qu’ils menoient en main & qui portoit le bagage.