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Nous avons promis de rapporter une seconde preuve du peu d’étenduë de l’Etat que Childéric laissa en mourant à son fils Clovis. Elle sera très-propre à confirmer tout ce que nous avons déja dit dans ce chapitre concernant les bornes étroites de ce royaume, et l’indépendance des autres rois des Francs. La voici : au défaut de témoignages clairs et positifs rendus par des auteurs dignes de foi concernant l’étenduë d’un nouvel Etat, et ce qui est essentiel, d’un Etat composé de pays conquis depuis trente ou quarante ans, le meilleur moyen de juger de cette étenduë, et d’en juger et par le nombre des conquerans, lorsqu’on peut le sçavoir avec quelque précision, et par le génie plus ou moins belliqueux des peuples assujettis. En effet il y a des pays, où pour user de cette expression, une poignée de conquerans peut subjuguer, et tenir dans la sujetion une nation nombreuse. Sans remonter jusqu’à l’histoire ancienne, on vit dans le seiziéme siécle, les Castillans dompter et asservir quoiqu’ils fussent en très-petit nombre, des pays vastes et fort peuplés. C’étoit l’effet des avantages que les Castillans avoient sur les nations de l’Amérique, par le courage naturel, par les armes dont ils se servoient, et par la discipline militaire. Mais lorsque la guerre se fait entre des peuples dont les pays sont limitrophes, un petit nombre d’hommes ne sçauroit subjuguer un plus grand nombre d’hommes, parce que ceux qui attaquent, et ceux qui sont attaqués n’ont pas plus de courage naturel les uns que les autres, qu’ils se servent tous à peu près des mêmes armes, et qu’ils ont tous la même discipline. D’ailleurs il est passé en proverbe, que c’est la guerre qui fait le soldat ; et il est bien rare qu’un peuple soit en guerre durant long-tems, sans que ses voisins y soient aussi. Les habitans de la partie des Gaules qui est à la droite de la Somme, étoient voisins des Francs depuis deux siécles, lorsque Clodion et Mérovée la conquirent. Ces habitans ne devoient point alors être moins agguerris que les Francs. Ainsi l’on peut juger par le nombre des sujets naturels d’un roi des Francs, de l’étenduë de pays qu’il avoit pû conquerir dans le nord de la Gaule Belgique, et de l’étenduë de pays qu’il pouvoit retenir dans la sujetion. Jusqu’à la destruction de l’empire d’Occident, et même jusqu’au regne de Clovis, on ne voit point que des cités entieres se soient mises volontairement et par choix, sous la domination d’un roi barbare.

Or nous voyons que Clovis à son avenement à la couronne et