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Avant que d’en venir au recit des suites qu’eut le traité dont saint Epiphane fut le mediateur, il est bon de faire encore quelques reflexions sur la narration d’Ennodius. Je remarquerai d’abord que cet auteur n’a pas raison d’attribuer tout le succès de cette negociation à saint Epiphane. La negociation avoit été du moins ébauchée par Faustus évêque de Riez, par Grécus évêque de Marseille, par Basilus évêque d’Aix, et par d’autres prelats de leur voisinage[1], qui aimoient mieux voir le Visigot maître de leurs diocèses, que de les voir mis à feu et à sang. C’est ce qui paroît par une lettre de Sidonius Apollinaris, de laquelle nous rapporterons le contenu dans le quatorziéme chapitre de ce livre. En second lieu, je remarquerai qu’il se peut bien faire que l’interprete dont Euric se servit pour répondre à saint Epiphane, n’ait point été un truchement, mais simplement un officier, dont l’emploi fut à peu près le même que celui des chanceliers des rois de France, ou des rois d’Angleterre, et dont une des fonctions auroit été par conséquent de faire entendre aux sujets de ce prince ses volontés, et de les leur interpreter. Après que le roi des Visigots s’étoit énoncé avec la brieveté convenable aux souverains, cet officier disoit le reste. Supposé que cet interprete ait été un veritable truchement, employé à redire mot à mot en latin, ce qu’Euric lui avoit dit en langue gothique, il ne s’ensuivroit pas pour cela qu’Euric, qui suivant toutes les apparences, étoit né dans les Gaules, ou qui du moins y étoit venu encore enfant, ne sçût point le latin. D’ailleurs il étoit fils de Theodoric I et nous avons parlé de l’éducation que ce prince avoit fait donner à ses fils. Euric aura voulu se conformer à quelqu’article du céremonial des rois Visigots où il étoit dit, qu’ils ne répondroient qu’en leur propre langue aux ministres étrangers ausquels ils donneroient audiance, dans la crainte que ces princes en parlant une autre langue que la leur, ne donnassent quelqu’avantage sur eux à un ambassadeur dont cette langue auroit été la langue naturelle. En effet on voit par la narration d’Ennodius qu’Euric entendit très-bien saint Epiphane qui parloit en latin. Peut-être aussi les Visigots avoient-ils assujetti leurs premiers rois à cet usage, afin que tout le conseil entendît ce que le roi traiteroit avec les étrangers. Quand Annibal se servit d’un truchement dans le pour-parler qu’il eut avec Scipion l’Afriquain avant la bataille de Zama, croit-on que le general carthaginois se soit assujetti à tous les dégoûts d’une conver-

  1. Sidonius, ep. VI, lib vii.