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refusées plusieurs fois. Je suis de tems en tems assez heureux pour faire de ces petites pertes, dont on peut tirer de grands profits. Sur les trois heures après midi, le Roi se remet au travail, & l’on ouvre la porte à la cohuë des Supplians. Cette foule s’éclaircit à mesure que l’heure du souper s’approche, parce que chacun d’eux aprés avoir présenté sa requête, se retire pour aller rendre ses devoirs au Courtisan son patron, chez qui on reste jusqu’à l’heure de se mettre au lit. Quelquefois Theodoric fait venir des Mimes & des Farceurs à son souper, mais il ne souffre pas qu’ils disent rien de trop piquant contre aucun des convives. Quant à sa Musique, elle est peu nombreuse, & jamais elle ne chante ni ne jouë des airs lascifs. Là, vous n’entendez ni joueuses d’instrumens, ni grandes orgues, ni rien de ce qui peut faire penser à la débauche. Aussi-tôt que le Roi est hors de table, on monte la garde aux portes du Palais. Je m’arrête-là, puisque je ne vous ai pas promis une information concernant le gouvernement de l’Etat où ce Prince commande, mais bien concernant la personne & sa maniere de vivre.

On peut conjecturer sur ce que dit Sidonius, du bonheur qu’il avoit de perdre quelquefois son argent, qu’il étoit venu à Toulouse pour affaires. Quoique la cité d’Auvergne, dont il étoit senateur, et où par conséquent il devoit avoir la principale portion de son patrimoine, ne fût point encore sujette aux Visigots, il se peut très-bien que Sidonius eût affaire d’eux parce qu’il avoit des terres dans les provinces où étoient les quartiers qu’on leur avoit accordés, et dont on voit bien par sa lettre, qu’ils s’arrogeoient déja le gouvernement, soit du consentement de l’empereur, soit malgré lui.

On pourroit soupçonner avec quelque fondement l’auteur de cette lettre trop travaillée pour avoir été écrite dans le dessein qu’elle ne fût lûë que par une seule personne, de n’avoir dépeint avec tant de soin la sagesse et l’application du roi des Visigots, qu’afin d’attirer plus de monde dans quelque parti qui se formoit alors parmi les habitans des provinces obéïssantes des Gaules, pour secoüer le joug des officiers envoyés par la cour de Ravenne, et pour se mettre sous la protection des Visigots. Qu’il y eût alors dans ces provinces plusieurs citoïens, fatigués, désesperés de l’état déplorable où leur patrie étoit réduite par les querelles qui s’excitoient de tems en tems entre les barbares, qui en tenoient une partie, et l’empereur qui