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table de notre Monarque, ce n’est point le prix excessif auquel ils reviennent, c’est la maniere dont ils sont apprêtés & servis ; car s’il ne se soucie point que sa vaisselle soit très pesante, il a grand soin qu’elle soit bien nette. Les convives ont plûtôt à se plaindre qu’on ne leur porte point un assez grand nombre de santés, que d’être obligés à boire trop. En un mot, on est servi à la table de Theodoric avec le goût de la Grece, avec l’abondance en usage dans les Gaules, & avec la ponctualité dont on se pique en Italie. Si le nombre des convives vous fait croire que vous mangez à un festin, tout s’y passe avec tant d’ordre & de silence, que vous croyez y d’un autre côté, être à un repas qu’un particulier donne à son ami. Mais le respect où vous voyez tout le monde, vous fait bien-tôt sentir que vous êtes à la table d’un grand Roi.

» Je ne vous entretiendrai point de la magnificence qu’on voit les jours de fête à la Cour de Theodoric, parce qu’elle est connuë des personnes les plus sequestrées du commerce du monde. Ainsi je reprends le récit de son train de vie ordinaire. Il fait quelquefois la méridienne, mais elle n’est jamais longue. Quand il se met au jeu après le repas avec assez de vivacité, sans sortir néanmoins de son sang-froid ordinaire. Lorsqu’il gagne, il ne dit mot, il rit lorsqu’il perd, ne se fâche jamais quoi qu’il lui arrive, & raisonne toujours sur les incidens de son jeu avec autant de suite, qu’il raisonneroit sur des évenemens de guerre. S’il perd il ne demande point sa revanche, quoiqu’il ne la refuse jamais quand il gagne. Il ne craint pas les joueurs les plus habiles, & il ne cherche point à faire des parties avantageuses avec des gens qui en sçachent moins que lui. Il n’affecte point de se retirer sur son gain, mais il ne trouve pas mauvais que les autres quittent le jeu quand il leur plaît. Cependant il est bien aise dans le moment qu’il gagne le coup qu’il jouë, & il quitte alors pour quelques instans sa gravité accoutumée. La premiere chose qu’il fait après avoir proposé de se mettre au jeu, c’est d’exhorter à jouer avec liberté & comme on jouë avec ses égaux. A dire vrai, il semble qu’il apprehende pour lors qu’on ne le craigne.

» La bonne humeur où le gain met Theodoric, a donné occasion à ceux qui ont sçu en profiter, de faire des fortunes considérables, & d’obtenir de lui des graces qu’il avoit