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promettoient une durée éternelle ? Que des brigands attroupés qui avoient profané les tombeaux des Scipions, renversé les statues des Césars, & qui pour tout dire en peu de mots, avoient été cause par leurs déprédations sacriléges, qu’on eût perdu des Traités entiers de Ciceron, je ne scais combien d’autres écrits précieux, & peut-être quelques Odes d’Horace ; Avec quel dédain les sçavans donc je parle, ne devoient-ils pas regarder des Histoires grossieres, & qui ne les entretenoient en des disgraces de l’Empire Romain, réduit à ne pouvoir plus le défendre contre les Barbares, que par l’épée des Barbares mêmes ?

Alleguons quelque fait qui prouve sensiblement que tels ont été les sentimens de nos premiers Sçavans. Quoique les Manuscrits de l’Histoire de Gregoire de Tours fussent des moins rares néanmoins la premiere édition de cet ouvrage qui fut faite à Paris, ne parut qu’en mil cinq cens douze, & quand il y avoit déja cinquante ans que la Presse y rouloit. Ce ne fut encore qu’en mil cinq cens soixante, que Guillaume Morel donna dans la même Ville la seconde édition du Pere de notre Histoire. Combien avoit-on vû déja d’éditions de Virgile, de Ciceron, de Tacite, & de Tite-Live[1] ? Il y avoir eu dès-lors plus de trente éditions de l’Histoire Romaine écrite par le dernier, dont un grand nombre avoir été fait à Paris.

La premiere édition des Loix Saliques faite en France, n’y vit le jour qu’en l’année mil cinq cens soixante & treize ; & bien que ce Livre manquât alors dans toutes les Bibliotheques & qu’il dût par conséquent être bien-tôt débité, cependant il ne fut réimprimé qu’en mil six cens-deux.

Si quelques Sçavans formés sous le regne de François premier, se sont plûs à la lecture des Auteurs contemporains de l’Histoire de France, ce n’a point été à la lecture de ceux qui ont écrit sous les Rois de la premiere Race. Les Sçavans dont je parle, s’étoient affectionnés avec raison à la lecture de l’Histoire de Saint Louis, & à celle des Rois ses successeurs, qu’ils trouvoient dans Joinville, dans Commines, & dans d’autres Auteurs contemporains, écrite avec un bon sens qui les charmoit. C’est en parlant de ces Auteurs, que le Chancelier de l’Hôpital disoit[2] : Que la simplicité éclairée de nos Historiens François avoit bien autant d’attrait pour lui, que l’elegance & la délicatesse des Historiens Grecs & des Historiens Romains. Un pareil éloge ne convient pas certainement à ceux de nos Annalistes, qui ont écrit sous les Rois de la premiere Race.

  1. Lib. Clerici, Tom, pri.
  2. In Epist. ad Card. Turnonium.