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il n’étoit pas possible du tems d’Aimoin, de tirer des monumens litteraires écrits dans le cinquiéme ou dans le sixiéme siecle, & qui nous restent, le même secours qu’on en peut tirer aujourd’hui.

Qu’en est-il donc arrivé ? Aimoin qui écrivoit vers le commencement de l’onziéme siecle, faute d’avoir entre les mains aucune Histoire suivie & méthodique de l’établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, se sera vû réduit à la composer le mieux qu’il lui aura été possible, sur le peu qui se trouve concernant l’origine des Francs & leurs premiers progrès, soit dans Gregoire de Tours, soit dans Frédégaire, soit dans l’Auteur des Gestes, soit dans les Vies de quelques Saints illustres dont les Auteurs, comme je l’exposerai incessamment, n’avoient point eu le dessein d’écrire les Annales de leur tems. L’entreprise n’étoit pas facile à bien exécuter. Aussi selon mon sentiment, Aimoin s’est-il trompé en entendant les narrations obscures ou tronquées de Gregoire de Tours, conformément à l’interprétation veritablement claire, mais fausse, que Frédégaire & l’Auteur des Gestes en avoient faite. Aimoin a donc conclu, tout examiné, qu’il falloit absolument que les Francs eussent conquis les Gaules sur l’Empire Romain ; & c’est, suivant ce principe, qu’il a expliqué Gregoire de Tours, & qu’il a composé l’Histoire de nos cinq premiers Rois. Voilà ce qu’Aimoin pouvoit imaginer de plus vrai-semblable, dès que la verité lui étoit cachée.

Comme l’idée qu’Aimoin donne de l’établissement de notre Monarchie, est claire & précise, toute fausse qu’elle est, elle a été adoptée par les Chroniqueurs qui sont venus immédiatement après lui, & ceux-ci ont été suivis par les Historiens modernes. S’il est permis d’user de cette expression, voilà l’Histoire de notre Histoire, & comment il est arrivé que l’erreur a pris dans nos Annales, la place de la verité.

Supposé, dira-t’on, que Frédégaire, l’Auteur des Gestes, Aimoin & Sigebert de Gemblours se fussent égarés, les Ecrivains, qui depuis eux, nous ont donné tant d’Histoires de France, se seroient apperçus de l’erreur. Ils l’auroient corrigée en expliquant Grégoire de Tours & ses contemporains, un peu mieux que Frédégaire & Aimoin ne les avoient expliqués. Cependant tous les Historiens postérieurs à Aimoin, n’ont vû dans Gregoire de Tours & dans ses contemporains, que ce qu’y avoit vû Aimoin.