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sous les derniers Rois de la seconde Race. Elles changerent non-seulement la constitution du Royaume, mais encore la face de la Societé, parce que les révoltés qui se firent Seigneurs héréditaires des villes ou des contrées dont le gouvernement leur avoit été confié par le Souverain, non contens d’y usurper l’autorité Royale, y dépoüillerent encore le Peuple des droits dont il avoit joui jusques-là.

Le dixiéme siecle a donc été un tems plus propre à corrompre notre Histoire qu’à la rétablir. On peut même accuser ce siecle-là, d’avoir achevé de rendre ce rétablissement comme imposible, du moins jusqu’au milieu du dix-septiéme. En effet, il n’y a point de siecle auquel on puisse reprocher avec autant de fondement qu’on peut le reprocher au dixiéme, d’avoir laissé perdre plusieurs Ouvrages composés dans le cinquiéme siecle ou dans le sixiéme, & dont la lecture seule pouvoit mettre en évidence l’erreur dans laquelle Frédégaire étoit tombé le premier.

Ainsi lorsque Roricon, quel qu’il ait été, lorsque Aimoin, Sigebert de Gemblours & les autres Auteurs, qui sous le regne des premiers Rois de la troisiéme Race, ont écrit sur l’Histoire de France, se sont mis à composer leurs Chroniques, il y avoit déja long-tems qu’on ne pouvoit plus tirer aucun secours de la tradition verbale, & l’on avoit déja perdu ceux de nos monumens litteraires, dont la lecture seule auroit écé suffisante pour préserver de l’erreur, parce qu’ils contenoient une relation méthodique de l’établissement de notre Monarchie. En effet, loin que nous voyions rien dans Aimoin, par exemple, qui nous induise à croire qu’il ait vû quelques ouvrages perdus depuis lui ; il paroît, au contraire, qu’il n’a point eu connoissance de plusieurs ouvrages plus anciens que lui, & qui sont aujourd’hui entre les mains de tout le monde. Notre proposition ne paroîtra point un paradoxe aux personnes qui ont quelque connoissance de l’Histoire des Lettres. Il n’y avoit alors que des Manuscrits, & ils étoient si rares, qu’il ne se trouvoit peut-être pas dans les Gaules, durant l’onziéme siecle, deux copies des Histoires de Procope, & autant de l’Histoire d’Agathias. Aimoin, supposé encore qu’il fût capable d’entendre ces Historiens Grecs, ne sçavoit peut-être pas où ces copies se trouvoient. Ce que je dis du Livre de Procope & de celui d’Agathias, se peut dire aussi de plusieurs autres. D’ailleurs, ceux qui possedoient les Manuscrits, en étoient très-jaloux, & ils ne souffroient pas que ces trésors fussent déplacés. Enfin, comme nous le dirons bientôt,