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d’armée campé et capable de leur en disputer le passage. Cependant les troupes de frontiere destinées à garder ce fleuve, auroient peut-être suffi pour arrêter l’ennemi durant un tems, et pour donner à celles qui en étoient à la distance de quinze ou vingt lieuës, le loisir de se rassembler, et de former une armée, si la perfidie de Stilicon n’eût pas dénué les Gaules de tout secours. Mais ce traître, sous prétexte qu’elles étoient en pleine sureté, parce que les barbares n’osoient enfraindre la paix qu’il avoit faite avec eux, avoit tiré de cette grande province les troupes destinées particulierement à garder le Rhin contre les Sicambres, les Cattes, les Cherusques, et les autres peuples qui habitoient sur la rive droite, ou à peu de distance de la rive droite de ce fleuve, et il les avoit envoyées faire la guerre sur le Danube contre les Gots. C’est du panégyriste même de Stilicon que nous apprenons que Stilicon avoit fait cette disposition. Il est aisé aux ministres de justifier les mesures qu’ils prennent avant que l’événement ait fait voir si ces mesures sont sages. Ainsi je ne suis pas surpris que Claudien qui écrivoit le poëme dont nous parlons avant l’invasion de quatre cens sept, ait loüé Stilicon d’avoir tenu une conduite si peu judicieuse. Je suis étonné seulement que Stilicon ait osé dénuer de ses naturels défenseurs, le Rhin, la barriere qu’il importoit le plus à l’empire romain de garder, et que les premiers empereurs gardoient avec tant de jalousie. Ce perfide pouvoit-il se flater de s’excuser après que les barbares seroient entrés dans les Gaules, en disant, que ce n’étoient pas les nations voisines de ce fleuve, celles dont on se défioit ordinairement, qui l’avoient passé, mais bien des nations venuës de loin, et qui jusqu’alors n’avoient point encore tenté une pareille entreprise ?

Nous sommes si peu instruits du détail des événemens les plus mémorables du cinquiéme siécle, que nous ignorons par quelle fatalité il arriva que les barbares parvinssent jusqu’aux pieds des Pyrénées, peu de mois après avoir passé le Rhin, et que ces montagnes ayent été la seule digue capable d’arrêter l’impétuosité du torrent. Les écrits de cet âge-là qui nous restent nomment bien les villes prises, ils parlent bien des persécutions que les Vandales et les autres barbares firent souffrir aux Fideles ;