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l’armée Romaine dans les Gaules, agissoient alors de concert. La fausse idée que Frédégaire s’étoit faite de Childéric, a été cause qu’il s’est fait aussi une fausse idée de Clovis le fils & le successeur de ce Prince, & qu’il a parlé toujours de Clovis comme d’un ennemi né de l’Empire. Cependant comme il n’y avoit pas encore dans les tems dont nous parlons, d’autres livres que des manuscrits, l’Abregé de Frédégaire sera devenu bien plus commun que la grande Histoire de Gregoire de Tours, dont le volume étoit dix fois plus gros que cet Epitome.

Nous expliquerons dans le corps de cet ouvrage, comment il a pû se faire que l’erreur de Frédégaire n’ait pas laissé, quoiqu’elle eût été apperçuë par quelques-uns de ses contemporains, de devenir dans la suite une erreur générale. Ce qu’il convient de dire ici, c’est qu’elle fut adoptée par l’Auteur des Gestes des Francs, le premier de ceux de nos Historiens venus après Frédégaire, que nous connoissions, & qui, comme il le dit lui-même à la fin de son Ouvrage, écrivoit sous le regne de Thierri de Chelles, parvenu à la couronne la vingtiéme année du huitiéme siécle[1]. L’Auteur des Gestes n’avoit point plus de lecture que Frédégaire, & il pouvoit encore moins que lui tirer du secours de la tradition verbale. On sçait quelle étoit dans le huitiéme siecle l’ignorance des habitans des Gaules. Ainsi l’erreur éclose dans le septiéme siecle, jetta de nouvelles racines dans le siecle suivant.

Il est vrai que dans le neuviéme siecle, & quand plusieurs ouvrages anciens que nous n’avons, plus, existoient encore, Charlemagne tâcha de faire refleurir dans les Gaules l’étude des belles Lettres, mais il ne s’y étoit encore formé aucun Ecrivain capable de bien composer l’Histoire des siecles passés, lorsque les dévastations dont furent suivies les guerres civiles, qui s’allumerent à plusieurs reprises entre les successeurs de ce grand Prince, replongerent notre pays dans l’ignorance, ou pour mieux dire, l’empêcherent d’en sortir. S’il est permis de s’expliquer ici figurément, le jour que ce crépuscule annonçoit, ne se leva point, & la nuit la plus noire succeda immédiatement à l’aurore. Ainsi l’erreur établie dans les deux siecles précedens, subsista dans le neuviéme.

Tout le monde a entendu dire que pendant le dixiéme siecle, les habitans des Gaules furent aussi barbares qu’ils pouvoient l’avoir été deux cens ans avant que Jules César vînt les subjuguer. Cette barbarie extrême étoit l’effet des révolutions arrivées

  1. En 720.