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Il n’y a plus parmi nous de Citoyen capable de transmettre à la posterité l’Histoire de notre tems. Touché d’un discours si bien fondé, & de plusieurs autres de même nature qui se tiennent sans cesse, j’ai pris la résolution de mettre par écrit le moins mal qu’il me sera possible, l’Histoire des évenemens arrivés de nos jours afin d’en faire passer la mémoire à la posterité. »

Les dévastations dont furent suivies les guerres civiles que les Successeurs de Clovis se firent dès le siecle suivant où vivoit Gregoire de Tours & qui continuerent dans le siecle suivant, acheverent de faire tomber les habitans des Gaules dans l’ignorance la plus crasse. En effet, au lieu que nous avons un assez grand nombre d’Ouvrages composés dans les Gaules durant le sixiéme siecle, il ne nous en reste presque point, lesquels y ayent été faits durant le siecle suivant. D’ailleurs, la grossiereté dont sont ces derniers, sert encore plus que leur petit nombre, à montrer que la Barbarie avoir déja chassé de cette contrée, la politesse que les Romains y avoient introduite. Aussi regardai-je le septiéme siecle, comme le tems où l’erreur que j’ai entrepris de détruire, a commencé de se glisser dans nos Annales.

Un des premiers effets de la Barbarie, c’est d’anéantir dans un pays la tradition verbale, qui fait passer de génération en génération la mémoire des grands évenemens qui peuvent y être arrivés. Cette tradition qui subsiste long-tems parmi les Peuples polis, s’éteint bientôt parmi les Peuples grossiers, ou du moins elle y est bientôt mêlée avec des fables qui l’alterent dès la troisiéme génération, & qui la défigurent entierement dès la quatriéme. Combien d’exemples tirés de ce qui est arrivé dans l’ancien Monde & dans le nouveau, ne pourrois-je point rapporter, si ce que je viens de dire avoit besoin d’être prouvé ?

Ainsi la mémoire de ce qui s’étoit passé dans les Gaules sous Childéric, dont le regne commença vers l’année quatre cens cinquante-huit, y devoit être presque éteinte deux cens ans après, c’est-à-dire dans le milieu du septiéme siecle, & cela d’autant plus qu’on ne voit pas que les Francs eussent, à l’imitation des Romains, institué des Fêtes anniversaires pour perpétuer le souvenir des évenemens mémorables, ausquels leur Monarchie devoit & son origine & ses premiers accroissemens. Il n’y avoit donc plus au milieu du septiéme siecle que la tradition écrite, c’est-à-dire, les Livres d’Histoire, qui conservassent la mémoire de ces évenemens ; & ce fut justement alors,