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tems d’un dégré, & par l’esperance qu’en continuant à détruire les Châteaux de bois des Brigantes[1], et à mettre le feu aux cases des Maures, il parviendroit avant que d’avoir passé l’âge de soixante ans, à commander le Corps où il s’étoit vû le dernier Compagnon. Quant au soldat, il étoit encouragé par l’idée qu’il deviendroit un jour l’égal de ceux qui actuellement étoient ses Supérieurs, si sa santé lui permettoit de rester dans les Troupes ; & que s’il arrivoit qu’après avoir acquis la véterance par vingt ans ou seize ans de service, il se trouvât trop cassé pour continuer le métier de la guerre, il se retireroit alors avec une récompense, soit en terres, soit en deniers, qui le mettroit en état de subsister commodément le reste de ses jours.

D’ailleurs la paye que touchoit le simple Soldat Légionaire, et qui étoit de près d’un denier d’argent par jour[2], se trouve, toutes choses évaluées, avoir été une solde trois fois aussi forte que l’est celle des Fantassins entretenus aujourd’hui dans la Chrétienté, qui reçoivent la paye la plus haute. Enfin, la division des hommes en Citoïens et en Esclaves, laquelle avoit lieu pour lors, donnoit moyen au soldat Romain de se faire servir, & de s’épargner ainsi bien des fatigues & bien des travaux, que nos soldats sont obligés d’essuyer. Aussi voyons-nous par ce que dit Tacite en parlant du sac de Crémone arrivé sous l’Empire de Vitellius, qu’il y avoit dans un Camp Romain plus de Goujats et d’autres Valets d’armées que de Combattans.

La subordination est l’ame des Corps politiques. C’est elle qui les conserve, & qui les met en état d’agir. Mais cette subordination est bien moins respectée lorsqu’elle n’est que l’effet de la fortune ou de la faveur, que lorsqu’elle est uniquement l’effet du mérite & de la justice. Telle étoit la subordination qui avoit lieu dans les Troupes Romaines. Si quelquefois l’ordre du Tableau y avançoit quelqu’un qui ne méritât point de monter au grade où il parvenoit, du moins personne n’étoit mortifié de son avancement ; sa promotion étoit autorisée par l’usage, & l’on exécutoit toûjours de bonne foi ses ordres, quoique l’on méprisât sa personne.

Il étoit très-rare qu’on séparât, du moins pour long-tems, une Légion, afin d’en faire servir cinq Cohortes dans un Païs,

  1. Juv. Sat. 14.
  2. Tac. Annal. Lib. I.