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leurs l’entretien des Troupes reglées donnoit le moyen d’employer les Citoïens que leur caractere ou le train de vie auquel ils étoient accoutumés, rendoit incapables de toute autre profession que de celle des armes. Il se trouve toujours dans tous les Etats & dans tous les tems un grand nombre d’hommes de ce caractere, mais ce nombre est excessif dans les païs où les guerres civiles viennent de regner & où elles ont duré plusieurs années. La solde qui donne aux hommes dont nous parlons, un moyen honnête de subsister, les empêche d’être exposés à la tentation de fournir à leurs besoins par des violences. Enfin Auguste en faisant du service militaire qui jusqu’à lui n’avoit été qu’une des fonctions communes à tous les Citoïens, une profession particuliere, pouvoit se promettre que ses soldats en sçauroient mieux leur métier, et que les autres Citoïens oublieroient le maniment des armes.

Les Troupes Romaines formées par Auguste & qui ont été si long-tems la terreur des Nations, & même de leurs propres Empereurs, étoient divisées en Légions. Chaque Légion étoit composée de cinq à six mille soldats, dont il n’y avoit que quatre ou cinq cens qui fussent montés. Le reste servoit comme fantassins. L’Officier qui commandoit en chef la Légion, avoit le titre de Lieutenant d’une Légion. Comme on n’y enrôloit que des Citoïens Romains, les soldats dont elles étoient composées ne reconnoissoient guéres d’autre distinction entre eux, que celle qui provenoit des grades militaires où chacun étoit parvenu. On n’y croyoit pas que les uns ne dûssent entrer dans un Corps que pour commander, et les autres pour obéïr toûjours. Le dernier des simples soldats pouvoit devenir à son rang le premier Tribun ou le second Officier de la Légion : car il paroît véritablement que les Empereurs ne suivoient ordinairement que leur inclination lorsqu’ils nommoient le Colonel Lieutenant, ou l’Officier qui la commandoit en chef sous le nom de Legatus Legionis. Du moins juge-t’on par l’aversion que les Troupes avoient pour les Officiers avancés contre ce que nous appellons l’ordre du Tableau, que ces sortes de préferences étoient rares[1]. Ainsi les Officiers & les soldats ne passoient guéres d’un Corps dans un autre, ce qui leur avoit fait perdre leur rang d’ancienneté. Il devoit arriver aussi très-rarement que ceux qui étoient encore en état de porter les armes, voulussent quitter le Service. L’Officier étoit soutenu par la satisfaction de monter de tems en

  1. Tac. hist. lib. 1.