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même-tems des Troupes et des Habitans du Païs, où elles servent toûjours, & l’on séduit sans peine ceux dont on est aimé. D’ailleurs la maniere dont les Troupes Romaines étoient, pour ainsi dire, conformées, & la maniere dont elles faisoient le service, les rendoient plus susceptibles de séduction, plus enclines à se révolter, et plus capables de se donner un nouveau Maître, que ne le sont les troupes que les Potentats de la Chrétienté entretiennent aujourd’hui.

Jusques au regne d’Auguste, Rome n’avoit pas tenu à son Service, des Troupes destinées à demeurer toûjours sous leurs Drapeaux, et qui dûssent être conservées et entretenuës durant la paix, comme durant la guerre. Tant que la République avoit subsisté, on n’avoit levé des Troupes que lorsqu’il y avoit eu occasion de les employer actuellement. On y enrôloit tous les Citoïens de quelque profession qu’ils fussent, chacun à son tour, & l’on renvoyoit ces Citoïens à leurs foyers, dès que les mouvemens qui avoient fait craindre une rupture étoient calmés, ou dès que la guerre étoit terminée. Il paroît en lisant les Auteurs contemporains qui ont parlé des guerres civiles entre le parti de Cesar & celui de Pompée, que l’on supposoit également dans l’un & dans l’autre parti, que les Légions devoient être licenciées de part et d’autre, immédiatement après la pacification des troubles. En effet rien n’étoit plus opposé à l’esprit d’une République où la Puissance suprême résidoit dans le Peuple, que de tenir une portion de ses Citoïens toujours armée. Il auroit été impossible néanmoins à la République, supposé que les guerres civiles dont nous venons de parler, se fussent terminées sans détruire sa constitution, de se passer de Troupes reglées. Ses frontieres reculées à une très-grande distance de l’Italie, confinoient encore en plusieurs lieux à des Nations barbares avec lesquelles il étoit impossible d’avoir jamais une paix tranquille et durable. Il étoit devenu d’une nécessité indispensable d’avoir en tout tems des armées sur les limites de l’Etat.

Ainsi quand Auguste se fut rendu le maître dans Rome, il ne dut point hésiter à suivre le conseil que lui donna Mecénas, d’avoir continuellement sur pied un Corps de Troupes, qu’il pût faire agir d’un moment à l’autre, soit contre les ennemis domestiques, soit contre l’ennemi étranger. D’ail-