Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
DE PARIS AU NIGER

briller un sabre, grincer quelque chien de fusil. Puis, sur la route, une vieille négresse arrête votre cheval, marmotte d’incompréhensibles choses, vous sourit et vous tend des mains pleines. Pour lui faire plaisir, parce que son sourire vieillot vous rappelle que de bonnes vieilles, des pauvresses, furent pleines de pitié pour René Caillié et Mungo-Park, vos devanciers en ce coin d’Afrique, et les empêchèrent de mourir de faim, vous acceptez son présent, des patates douces. Sa joie est grande. On la double par quelque petit cadeau. Pour y mettre le comble, tant vous jouissez de son contentement, vous mordez dans l’une des racines : et tandis que, poursuivant votre route, vous mâchonnez distraitement la patate cuite et froide, vous lui trouvez un surprenant goût de marron glacé. À l’instant votre mémoire galope à la suite de mainte vision de là-bas, du pays natal, où il neige et gèle maintenant tandis que vous cuisez doucement dès l’aube dissipée.

La vie de brousse c’est aussi ces troupeaux de pintades courant sous la feuillée dans la plus complète ignorance du chasseur, c’est les perdrix se levant sous les pieds de votre cheval. C’est d’étranges et enivrantes senteurs, qui tout à coup vous enveloppent et vous envahissent dans les bois, et subitement vous abandonnent ; c’est la folie des couchers de soleil qui brusquement et passionnément colorent le ciel resté monotonement incolore tout le jour durant. C’est les nuits… Une nuit nous avions pris logement dans des cases autour de la place d’un village. Nos gens campant là, en plein air, avaient allumé de grands feux dont les lueurs découpaient dans les ténèbres une voûte rose et or. Des vols de chauves-souris étaient accourus. Alors ce fut sous la voûte rose et or un ballet fantastique : les ailes des chauves-souris, éclairées en dessous, striaient l’air de traînées éclatantes et semblaient des étoiles filantes, tandis que plus au loin, à la limite des ténèbres, des essaims de