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Mais remarquez que ceux qui ne possèdent pas la langue dans sa perfection comme vous, trainent d'ordinaire les finales, et ajoutent le mot yala, qui ne signifie rien ; si dans un entretien ils ne répètent que deux ou trois fois ce mot inutile, ils croient qu'on doit leur en tenir compte. Je vois que ceux mêmes qui viennent récemment du fond de la Tartarie, l'emploient aussi fréquemment que les autres, ce qui prouve qu'en effet les transitions sont en petit nombre ; et parce que dans la composition un peu plus élégante, on n'ose risquer le mot yala, surtout depuis que l'empereur votre père l'a décrié en évitant de s'en servir, les auteurs se trouvent fort à l'étroit, quand il s'agit de passer d'une matière à l'autre. Le prince me répliqua en souriant, que la partie n'était pas égale entre nous deux, parce que j'étais dans son pays, et que lui n'était jamais allé en Europe. — Si j'y avais fait un voyage, dit-il agréablement, j'en serais revenu chargé de tous les défauts de votre langue, et j'aurais de quoi vous confondre. — Vous n'auriez pas été aussi chargé que vous le pensez, lui répondis-je, on y a soin du langage, il n'est pas abandonné au caprice du public : il y a, de même que pour les sciences et les beaux arts, une académie établie pour réformer et perfectionner la langue. — Arrêtez-là, dit le prince, s'il y a des réformateurs pour votre langue, elle doit avoir des défauts, et beaucoup. — Je me suis mal expliqué, lui dis-je, on ne l'a pas tant établie pour réformer notre langue, que pour la contenir dans ses limites : en cela elle ressemble à vos grands fleuves : quoiqu'ils roulent majestueusement leurs eaux, vous ne laissez pas de commettre des officiers pour y veiller, de peur qu'ils ne débordent, ou ne s'enflent par le mélange des eaux étrangères, et ne deviennent moins pures et moins utiles. — Mais, poursuivit le prince, votre langue n'a-t-elle rien emprunté des autres ? Ne s'y est-il point introduit des termes et des expressions des royaumes voisins ? S'est-elle toujours conservée dans la pureté de son origine ? Je lui répondis qu'au commencement, les différents royaumes d'Europe étant gouvernés par un même prince, le commerce réciproque des différentes nations avait introduit des mots communs, surtout dans les sciences et les arts, selon le langage des nations qui les avaient inventé les premières. Ces paroles furent un sujet de triomphe pour le régulo : il s'écria qu'il avait l'avantage. — Nous n'avons pris, dit-il, que fort peu de mots des Mongous, et encore moins des Chinois : et le peu que nous en avons pris, nous les avons dépaysés, en leur donnant une terminaison tartare. Mais vous autres, vous vous êtes enrichis des dépouilles de vos voisins. Vous avez bonne grâce après cela de venir chicaner la langue tartare sur des bagatelles. Je ne m'étendrai pas, dit le père Parrenin, sur la manière dont il me fallut mettre ce prince au fait de la différence qu'il y a entre les langues vivantes et les langues mortes, car il n'avait jamais ouï parler de ces dernières : il suffit