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les autres choses ordinaires. Ces trois manières d'écrire sont également lisibles, mais moins belles les unes que les autres. La quatrième façon est la plus grossière de toutes, mais c’est aussi la plus abrégée et la plus commode pour ceux qui composent, ou qui font la minute ou l'extrait d'un livre. Pour mieux entendre ce que je dis, il faut savoir que dans l'écriture tartare, il y a toujours un maître trait qui tombe perpendiculairement de la tête du mot jusqu'à la fin, et qu'à gauche de ce trait, on ajoute comme les dents d'une scie qui sont les voyelles a e i o, distinguées l'une de l'autre par des points qui se mettent à la droite de cette perpendiculaire. Si l'on met un point à l'opposite d'une dent, c’est la voyelle e ; si on l'omet c'est la voyelle a ; si l'on met un point à gauche du mot près de la dent, ce point pour lors tient lieu de la lettre n et il faut lire ne ; s'il y avait un point opposé à droite, il faudrait lire na. De plus si à la droite du mot au lieu d'un point on voit un o, c’est signe que la voyelle est aspirée, et il faut lire ha he, en l'aspirant, comme il se pratique dans la langue espagnole. Or un homme qui veut s'exprimer poliment en tartare, ne trouve pas d'abord le mot qu'il cherche : il rêve, il se frotte le front, il s'échauffe l'imagination, et quand une fois il s’est mis en humeur, il voudrait répandre sa pensée sur le papier sans presque l'écrire. Il forme donc la tête du caractère, et tire la perpendiculaire jusqu'en bas : c’est beaucoup s'il met un ou deux points : il continue de même jusqu'à ce qu'il ait exprimé sa pensée ; si une autre pensée la suit de près, il ne se donne pas le temps de relire ; il continue ses lignes, jusqu'à ce qu'il arrive à une transition difficile. Alors il s'arrête tout court, il relit ses perpendiculaires, et y ajoute quelques traits dans les endroits, où un autre que lui ne pourrait deviner ce qu'il a écrit. Si en relisant, il voit qu'il ait omis un mot, il l'ajoute à côté, en faisant un signe à l'endroit où il devait être placé ; s'il y en a un de trop, ou s'il est mal placé, il ne l'efface pas, il l'enveloppe d'un trait ovale. Enfin si on lui fait remarquer, ou s'il juge lui-même que le mot est bon, il ajoute à côté deux o o. Ce signe le fait revivre, et avertit le lecteur de cette résurrection. Cette quatrième façon d'écrire ne laisse pas d'être lisible, quand on est au fait de la matière qui se traite, et qu'on a quelque habileté dans la langue. Celui qui tient le pinceau jette sur le papier ce qu'il pense, ou ce qu'on lui dicte, sans y chercher que la vérité et l'exactitude. Après quoi c’est à lui à travailler et à composer l'ouvrage. Quoique pendant ce temps-là d'autres s'entretiennent ensemble, son travail n'en est point interrompu ; il n'entend même rien de ce qui se dit ; on est accoutumé des la jeunesse à cette application. Il compose donc tranquillement au milieu du bruit, et cherche des expressions dignes de la réputation qu'il s’est acquis. Ainsi il rêve, il cherche de nouveaux tours, il examine scrupuleusement les termes, l'expression, la brièveté, la netteté, l'ordre du discours jusqu'à ce qu'il soit content : car dans la langue tartare, comme dans les autres langues, il n'y a rien qu'on ne puisse dire d'un style poli, clair, et net.