Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quarante-deuxième parallèle, dans une plaine, qui, sans être marécageuse, était un peu humide, et qui est restée inculte depuis l’entrée des Mantcheoux : elle est arrosée d’un côté d’une petite rivière, et bordée de l’autre d’une chaîne de petites collines.

Mais parmi les plantes de tous ces pays, la plus précieuse, comme aussi la plus utile, qui attire dans ces déserts un grand nombre d’herboristes, est la fameuse plante appelée par les Chinois gin seng, et par les Mantcheoux, orhota, c’est-à-dire, la première ou la reine des plantes : elle est également estimée des uns et des autres, à cause des bons effets qu’elle produit, soit dans les maladies considérables de plusieurs espèces, soit dans les épuisements de forces causés par des travaux excessifs de corps, ou d’esprit ; aussi a-t-elle fait de tout temps la principale richesse de la Tartarie orientale : car quoiqu’elle se trouve de même dans la partie septentrionale de la Corée, ce qu’il y en a se consume dans le royaume.

On peut juger de ce qu’elle coûtait autrefois, par ce qu’elle se vend encore aujourd’hui à Peking : l’once de bon gin seng coûte sept à huit onces d’argent, quoiqu’il y ait un perpétuel commerce entre les Tartares et les Chinois, qui se servent adroitement de ce flux et reflux continuel de mandarins et de soldats obligés d’aller et de revenir, suivant les diverses commissions qu’ils ont pour Peking, ou pour Kirin oula et Ningouta et qui passent ensuite dans les terres qui produisent le gin seng, ou en cachette, ou avec le consentement tacite des gouverneurs.

Mais l’année 1709 que nous fîmes la carte, l’empereur souhaitant que ses Mantcheoux profitassent de ce gain préférablement aux Chinois, avait donné ordre à dix mille de ses soldats, qui sont au-delà de la grande muraille, d’aller ramasser eux-mêmes tout ce qu’ils pourraient trouver de gin seng, à condition que chacun en donnerait à Sa Majesté deux onces du meilleur, et que le reste serait payé au poids d’argent fin. Par ce moyen on comptait que l’empereur en aurait cette année vingt mille livres chinoises, qui ne coûteraient guère que la quatrième partie de ce qu’elles valent ici.

Cette expédition nous fut utile, car les commandants mantcheoux, partagés en différents quartiers avec leurs gens, suivant l’ordre de l’empereur, qui avait porté jusque-là sa prévoyance, vinrent les uns après les autres nous offrir une partie de leurs provisions, et nous obligèrent à accepter au moins quelques bœufs pour notre nourriture.

Ces amitiés nous rendirent encore plus sensibles aux peines de ces bataillons d’herboristes : car ils fatiguent beaucoup en cette sorte d’expédition : dès qu’ils commencent leurs recherches, ils sont obligés de quitter leurs chevaux, et leurs équipages, ils ne portent ni tente, ni lit, ni d’autre provision, qu’un sac de millet rôti au four. Ils passent la nuit couchés à terre sous un arbre, ou dans quelques misérables cabanes faites à la hâte de branches d’arbres.

Les officiers campés à une certaine distance dans les lieux propres à faire paître les bêtes, font examiner leur diligence par des gens qu’ils envoient leur porter quelques pièces de bœuf, ou de gibier : ce qu’ils ont le plus à