Page:Du halde description de la chine volume 4.djvu/107

Cette page n’a pas encore été corrigée

ces sortes de chasses ont plus l'air d'une expédition militaire, que d'une partie de divertissement : car, comme je l'ai déjà remarqué, l'empereur menait à sa suite cent mille chevaux, et plus de soixante mille hommes, tous armés de flèches et de cimeterres, divisés par compagnies, et marchant en ordre de bataille après leurs enseignes, au bruit des tambours et des trompettes. Pendant leurs chasses ils investissaient les montagnes et les forêts entières, comme si c'eut été des villes qu'ils eussent voulu assiéger, suivant en cela la manière de chasser des Tartares orientaux, de laquelle j'ai parlé dans ma dernière lettre. Cette armée avait son avant-garde, son arrière-garde, et son corps de bataille, son aile droite et son aile gauche, commandées par autant de chefs et de régulos. Il a fallu, durant plus de soixante-dix jours qu'elle a été en marche, conduire toutes les munitions de l'armée, sur des chariots, sur des chameaux, sur des chevaux, et sur des mulets, par des chemins très difficiles. Car dans toute la Tartarie occidentale (je l'appelle occidentale, non par rapport à la Chine, qui est à son égard vers l'occident, mais par rapport à la Tartarie orientale), on ne trouve que montagnes, que rochers, et que vallées. Il n'y a ni villes, ni bourgs, ni villages, ni même aucune maison. Ses habitants logent sous des tentes dressées de tous côtés dans les campagnes. Ils sont la plupart pasteurs, et transportent leurs tentes d'une vallée à l'autre, selon que les pâturages sont meilleurs : là ils font paître des bœufs, des chevaux, et des chameaux : ils ne nourrissent point de pourceaux, ni de ces autres animaux qu'on nourrit ailleurs dans les villages, comme des poules et des oies : mais seulement de ceux qu'une terre inculte peut entretenir des herbes qu'elle produit d'elle-même : ils passent leur vie ou à la chasse, ou à ne rien faire : et comme ils ne sèment ni ne cultivent point la terre, aussi ils ne font aucune récolte : ils vivent de lait, de fromage, et de chair, et ont une espèce de vin assez semblable à notre eau-de-vie, dont ils font leurs délices, et dont ils s'enivrent souvent. Enfin ils ne songent depuis le matin jusqu'au soir qu'à boire et à manger, comme les bêtes qu'ils nourrissent. Ils ne laissent pas d'avoir leurs prêtres, qu'ils appellent lamas pour lesquels ils ont une vénération singulière : en quoi ils diffèrent des Tartares orientaux, dont la plupart n'ont presque aucune apparence de religion. Au reste, les uns et les autres sont esclaves, et dépendent en tout des volontés de leurs maîtres, dont ils suivent aveuglément la religion et les mœurs : semblables encore en ce point à leurs troupeaux, qui vont où on les mène, et non pas où il faut aller. Cette partie de la Tartarie est située au-delà de cette prodigieuse muraille de la Chine, environ mille lys chinois, c'est-à-dire, plus de trois cents milles d'Europe, et s'étend de l'orient d'été vers le septentrion. L'empereur allait à cheval à la tête de son armée par ces lieux déserts, par des montagnes escarpées, et éloignées du grand chemin, exposé tout le jour aux ardeurs du soleil, à la pluie, et aux injures de l'air.