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à les engloutir à chaque instant ; tandis que tant de malades, attachés à un lit, ressentent les plus cuisantes douleurs, sans trouver dans les remèdes aucun soulagement à leurs maux ; tandis que tant d’infortunés soutiennent d’injustes procès, ou languissent dans une prison, où ils éprouvent l’abandon, la faim, la soif, le froid, et tant d’autres misères inséparables de leur captivité ; tandis que tant de familles sont dans le deuil par la mort de leurs proches, ou dans la désolation, par un incendie, ou par quelque autre évènement semblable, et que tant d’autres cherchent à finir leurs peines, en terminant leur malheureuse vie par une mort violente.

Quand je me compare à ces infortunés, et que je me vois exempt des maux dont ils sont environnés, puis-je n’être pas content de mon sort ?

Celui qui n’a point essuyé de traverses, ne conçoit guère quel est le prix d’une vie paisible et tranquille. Celles que j’ai éprouvées, me sont maintenant d’un grand secours : car outre les deux grandes maladies dont j’ai parlé, et qui m’ont conduit par bien des douleurs aux portes de la mort, je me suis vu prêt à faire naufrage, et ce n’est qu’avec beaucoup de peine que j’échappai à ce danger. Quand il m’arrive quelque contretemps, je me tranquillise, en me disant à moi-même : y a-t-il rien là qui puisse se comparer à l’une des trois épreuves par où j’ai passé ?

Qu’on ait recours au même remède dans les afflictions, et l’on apprendra par sa propre expérience, qu’il ne tient qu’à nous, avec un peu de réflexion, de profiter de la portion du bonheur que le Tien nous distribue. Au contraire, celui qui ne sait pas borner ses désirs, eût-il acquis les richesses et la gloire d’un empereur, il croira toujours qu’il lui manque quelque chose.

Songeons que nos forces sont bornées, et donnons des bornes à notre cupidité, prenons les chose comme elles viennent, et donnons-nous bien de garde de nous livrer jour et nuit à des soins et à des inquiétudes, qui déroberaient les plus précieux moments de la vie.

Le célèbre Yen, mon compatriote, avait une belle maxime : Si votre fortune, disait-il, devient meilleure, pensez moins à ce que vous n’avez pas, qu’à ce que vous avez ; autrement vous désirerez toujours, et vous ne verrez jamais vos désirs satisfaits. Si vous venez à déchoir de votre première condition, dites-vous à vous même : ce qui me reste me suffit : on peut me ravir mes biens, mais on ne me ravira jamais la tranquillité de mon cœur, qui est le plus grand de tous les biens.

Avec de pareils sentiments, malgré la décadence de votre fortune, vous êtes plus riche que vous ne pensez. C’est ce que signifie cette ancienne parabole : Je vois marcher devant moi un cavalier bien monté, pendant que je suis sur un âne. Ah ! me dis-je à moi-même, que mon sort est différent du sien ! Mais en tournant la tête, j’aperçois un villageois de bonne mine, qui pousse une lourde brouette : O ! dis-je alors, si je n’égale pas celui qui me devance, au moins je l’emporte de beaucoup sur celui qui me suit.

J’ai trouvé que cette parabole pouvait me réjouir en certains moments ;