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dans la métempsycose de quoi autoriser les ruses et les artifices qu’ils mettent en œuvre, pour intéresser la libéralité des peuples. On en peut juger par le trait suivant. C’est le même Père le Comte qui le rapporte.

« Deux de ces bonzes, dit-il, voyant un jour dans la cour d’un riche paysan deux ou trois gros canards, se prosternèrent devant la porte, et se prirent à gémir et à pleurer amèrement. La bonne femme, qui les aperçut de sa chambre, sortit pour apprendre le sujet de leur douleur. Nous savons, lui dirent-ils, que les âmes de nos pères ont passé dans le corps de ces animaux ; et la crainte où nous sommes, que vous ne les fassiez mourir, nous fera assurément mourir nous-mêmes de douleur. Il est vrai, dit la paysanne, que nous avions résolu de les vendre : mais puisque ce sont vos pères, je vous promets de les conserver.

« Ce n’est pas ce que les bonzes prétendaient. Peut-être, dirent-ils, que votre mari n’aura pas la même charité ; et vous pouvez compter que nous perdrons la vie, s’il leur arrive quelque accident.

« Enfin après un long entretien, cette bonne paysanne fut si touchée de leur douleur apparente, qu’elle leur donna les canards à nourrir durant quelque temps pour leur consolation. Ils les prirent avec respect, après s’être vingt fois prosternés devant eux : mais dès le soir même ils en firent un festin à leur petite communauté, et s’en nourrirent eux-mêmes. »

Au reste ces bonzes sont répandus par tout l’empire. Ce sont des gens du pays, qu’on élève dans ce métier dès leur plus tendre jeunesse. Ces scélérats, pour perpétuer leur secte, achètent de jeunes enfants de sept à huit ans, dont ils font de petits bonzes, qu’ils instruisent pendant quinze ou vingt ans pour leur succéder. Ils sont presque tous très ignorants, et il y en a peu qui sachent les principes de la doctrine de leur secte.

Tous les bonzes ne sont pas également célèbres : il y en a, pour ainsi dire, de tout étage : les uns ont l’emploi de quêter : les autres, en très petit nombre, qui ont acquis la connaissance des livres, et qui parlent poliment, sont chargés de visiter les lettrés, et de s’insinuer chez les mandarins. Il y a parmi eux des vieillards vénérables ; ce sont ceux-là qui président aux assemblées des femmes. Ces assemblées sont néanmoins très rares, et ne se pratiquent pas partout.

De plus, bien que les bonzes n’aient pas une hiérarchie parfaite, ils ont cependant des supérieurs qu’ils appellent Ta ho chang, c’est-à-dire, Grands bonzes ; et ce rang où on les élève, ajoute beaucoup à la réputation que leur âge, leur extérieur grave et modeste, et leur hypocrisie leur avait acquise. On trouve partout des monastères de ces bonzes ; mais tous ne sont pas également fréquentés par le concours des peuples.

Il y a dans chaque province certaines montagnes, où se trouvent des temples d’idoles, plus accrédités que tous les autres. On va de fort loin en pèlerinage à ces temples. Ces pèlerins, dès qu’ils sont au bas de la montagne, s’agenouillent, et se prosternent à chaque pas qu’ils font pour y monter. Ceux qui ne peuvent faire le pèlerinage, chargent quelques-uns