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Ma chère épouse, lui dit Tchouang, aidez-moi un peu à me lever. Dès qu’il fut sorti du cercueil, il prend la lampe, et s’avance vers l’appartement. La dame le suivait, mais d’un pas chancelant et suant à grosses gouttes, parce qu’elle y avait laissé le jeune Ouang sun et son valet, et que ce devait être le premier objet qui se présenterait à la vue de son mari.

Lorsqu’ils entrèrent dans la chambre, tout y parut orné et brillant : mais heureusement Ouang sun et le valet ne s’y trouvèrent pas. Elle se rassura un peu, et songea aux moyens de plâtrer une si mauvaise affaire ; ainsi jetant un regard tendre sur Tchouang tse : votre petite esclave, lui dit-elle, depuis le moment de votre mort, était occupée jour et nuit de votre cher souvenir : enfin ayant entendu un bruit assez distinct qui venait du cercueil, et me ressouvenant des histoires qu’on rapporte de certains morts qui sont retournés à la vie, je me suis flattée que vous pourriez bien être de ce nombre : j’ai donc couru au plus vite, et j’ai ouvert le cercueil. Béni soit le Ciel, mon espérance n’a pas été trompée : quel bonheur pour moi de retrouver un mari si cher, dont je pleurais continuellement la perte !

Je vous suis obligé, dit Tchouang tse, d’un si grand attachement pour moi. J’ai pourtant une petite question à vous faire : pourquoi n’étiez-vous pas en deuil ? Comment vous vois-je vêtue d’un habit de brocard brodé ?

La réponse fut bientôt prête : J’allais, dit-elle, ouvrir le cercueil avec un secret pressentiment de mon bonheur : la joie dont je devais être comblée, ne demandait pas un vêtement lugubre, et il n’était pas convenable de vous recevoir plein de vie dans des habits de deuil : c’est ce qui m’a fait prendre mes habits de noces.

A la bonne heure, dit Tchouang tse, passons cet article. Pourquoi mon cercueil se trouve-t-il dans cette masure, et non dans la salle, où naturellement il devait être ? Cette question embarrassa la dame, et elle ne pût y répondre.

Tchouang tse jetant les yeux sur les plats, sur les tasses, et sur tous les autres signes de réjouissance, les considéra attentivement ; et puis, sans s’expliquer, il demanda du vin chaud pour boire : il en avala plusieurs coups, sans dire un seul mot, tandis que la dame était fort intriguée. Après quoi il prend du papier et le pinceau, et il écrivit les vers suivants :


Épouse infidèle, est-ce ainsi que tu réponds à ma tendresse ?
Si je consentais à vivre avec toi, comme un bon mari doit faire avec sa femme,
N’aurais-je pas à craindre que tu ne vinsses une seconde fois briser mon cercueil à coups de hache ?


Cette méchante femme ayant lu ces vers, changea tout à coup de couleur ; et dans la confusion dont elle était couverte, elle n’osa ouvrir la bouche. Tchouang tse continua a écrire quatre autres vers, dont voici le sens :