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Il y avait déjà six mois qu’il traînait sa triste vie dans l’obscurité d’un cachot, lorsqu’il fut attaqué d’une maladie violente. L’art des médecins, et tous les remèdes qu’on lui donna, n’eurent aucun effet, et il se vit réduit à l’extrémité. Le jour même qu’on désespérait de sa vie, un domestique vint lui apporter quelque secours. Aussitôt que Ouang l’aperçut : « Retourne-t-en au plus vite, lui dit-il, et va dire à ta maîtresse que le mal me presse, et qu’elle se hâte de me venir voir, si elle veut que je l’embrasse pour la dernière fois. »

L’esclave n’est pas plus tôt averti sa maîtresse, qu’elle sort tout éperdue, et se rend à la prison, où, à la vue du triste état de son mari, elle versa un torrent de larmes. Alors Ouang reprenant ses forces : Ah ! ma chère épouse, faut-il que ton infortuné mari se soit attiré cette suite affreuse de malheurs, et ait couvert de confusion une si sage et si vertueuse femme ! Mon mal augmente à chaque moment. Chère et incomparable compagne, puisque j’ai la consolation de vous voir, je meurs content. Ce que je demande, c’est qu’on ne laisse pas impuni la noire trahison de mon perfide esclave. Jusques dans l’autre monde j’en demanderai vengeance.

La dame Lieou retenant ses pleurs, pour ne point contrister son mari : Cessez, lui dit-elle, de pareils discours, et ne songez qu’à vous tranquilliser, et à prendre les remèdes propres à rétablir votre santé. Jusqu’ici il ne s’est trouvé personne qui pousse l’affaire pour laquelle vous languissez dans cette prison : et je suis résolue de vendre généralement nos terres, nos maisons, et tout ce que j’ai, afin de vous en délivrer, et que nous puissions vivre encore longtemps ensemble. Au regard de votre esclave infidèle, la justice du Ciel saura bien le punir : immanquablement vous serez vengé, n’en ayez point d’inquiétude.

Quand je vois, répondit Ouang, une femme si attentive à me secourir, je regarde comme un don précieux les jours que le Ciel me prolonge. Il allait continuer, lorsqu’on obligea la dame de sortir, à cause de la nuit qui approchait.

Ce fut alors qu’éclata la douleur qu’elle avait retenue dans son sein. Elle arriva dans sa maison fondant en pleurs, et se retira dans son appartement, où elle ne s’occupait que du malheur et de la triste situation de son mari. Pendant ce temps-là les domestiques étaient dans la salle basse sur le devant de la maison, où ils tâchaient de dissiper leur mélancolie, lorsque tout à coup ils virent entrer un homme avancé en âge qui apportait des présents, et qui leur demanda si leur maître était à la maison ?

Lorsqu’ils eurent considéré de près cet étranger, tous se mirent à crier : les morts reviennent ; et chacun d’eux prit la fuite. Ils avaient reconnu le vendeur de gingembre, ce marchand de Hou tcheou, nommé Liu. Liu, voyant ainsi fuir tous ces domestiques effrayés, en saisit un par le bras : Êtes-vous fou, lui dit-il ? Je viens rendre visite à votre maître, et vous me prenez pour un esprit qui revient.

La dame Lieou ayant entendu le bruit qu’on venait de faire, sort promptement pour voir de quoi il s’agissait. Le bon vieillard s’avance,