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je n’avais qu’un fils qui m’était infiniment cher, et il y a sept ans que ce jeune enfant étant sorti du logis pour voir passer une procession, disparut, sans qu’il m’ait été possible d’en avoir depuis ce temps-là aucune nouvelle. Pour surcroît de malheur ma femme ne m’a plus donné d’enfants.

À ce récit Tchin parut un moment rêveur ; ensuite prenant la parole : Mon frère et mon bienfaiteur, dit-il, quel âge avait ce cher enfant lorsque vous le perdîtes ? Il avait six ans, répondit Liu. Quel était son surnom ? ajouta Tchin. Comment était-il fait ? Nous l’appelions Hi-eul, répliqua Liu. Il avait échappé aux dangers de la petite vérole ; on n’en voyait nulle trace sur son visage. Son teint était blanc et fleuri.

Ce détail causa une grande joie à Tchin, et il ne pût s’empêcher de la faire paraître dans ses yeux et dans tout son air. Il appela sur-le-champ un de ses domestiques, auquel il dit quelques mots à l’oreille. Celui-ci ayant fait signe qu’il allait exécuter les ordres de son maître, rentre dans l’intérieur de la maison.

Liu attentif à l’enchaînement de ces questions, et à l’épanouissement qui avait paru sur le visage de son hôte, forma divers soupçons dont il s’occupait, lorsqu’il vit tout à coup entrer un jeune domestique qui avait environ treize ans. Il était vêtu d’un habit long et d’un surtout modeste, mais propre ; sa taille bien faite, son air et son maintien, son visage dont les traits étaient réguliers, et où l’on voyait de beaux sourcils noirs, qui surmontaient des yeux vifs et perçants, frappèrent d’abord le cœur et les yeux de Liu.

Dès que le jeune enfant vit l’étranger assis à la table, il se tourna vers lui, fit une profonde révérence, et dit quelques mots de civilité : ensuite s’approchant de Tchin, et se tenant modestement vis-à-vis de lui : Mon père, dit-il, d’un ton doux et agréable, vous avez appelé Hi eul, que vous plaît-il m’ordonner ? Je vous le dirai tout à l’heure, reprit Tchin ; en attendant tenez-vous à côté de moi.

Le nom de Hi eul que se donnait le jeune enfant, fit naître de nouveaux soupçons dans l’esprit de Liu. Une impression secrète saisit son cœur, lequel par d’admirables ressorts de la nature lui retrace à l’instant l’image de son fils, sa taille, son visage, son air, et ses manières. Il voit tout cela dans celui qu’il considère. Il n’y a que le nom de père donné à Tchin qui déconcerte ses conjectures. Il n’était pas honnête de demander à Tchin, si c’était là véritablement son fils ; peut-être l’était-il en effet, car il n’est pas impossible que deux enfants aient reçu le même nom, et se ressemblent.

Liu, tout occupé de ces réflexions, ne songeait guère à la bonne chère qu’on lui faisait. On lisait sur son visage l’étrange perplexité où il se trouvait. Je ne sais quoi l’attirait invinciblement vers ce jeune enfant : il tenait les yeux sans cesse attachés sur lui, et ne pouvait les en détourner. Hi eul de son côté, malgré la timidité et la modestie de son âge, regardait fixement Liu, et il semblait que la nature lui découvrait en ce moment que c’était son père.