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bâtisse jamais de ville, ou qu’on y creuse un canal pour l’écoulement des eaux ; qu’il ne soit point trop à la bienséance d’une famille puissante, qui puisse être tentée de l’usurper ; qu’il soit tel enfin, que jamais les bœufs ne le puissent labourer. Si de plus on recherche vainement quel terrain peut porter bonheur, quel jour est heureux ou malheureux, c’est cacher sous les dehors trompeurs d’un respect mal entendu, des vues de propre intérêt ; ce n’est rien moins qu’être bon fils.


Folie de certains usages superstitieux.


Il se trouve des gens qui sont sottement entêtés de ce qu’un charlatan appelle une situation heureuse, et qui dans l’espérance de la trouver, diffèrent très longtemps d’inhumer leur père. Ils usent quelquefois de violence pour usurper le terrain d’autrui, et vont jusqu’à déterrer les morts d’une autre famille. D’autres un peu moins hardis, mais également injustes, usent de mille artifices, pour s’approprier un terrain qu’ils n’osent usurper de force. De là que d’inimitiés ! Que de chicanes ! Que de procès qui durent souvent jusqu’à la mort des parties, ou du moins jusqu’à ce qu’elles soient ruinées ! Tel a perdu tout son bien pour le prétendu bonheur d’un terrain qu’il n’a pu avoir jusqu’ici, et qu’il pourra encore moins avoir dans la suite. Qu’espérait-il de ce terrain, s’il l’avait eu ? Une prospérité imaginaire, qui eût du moins tardé à venir, si jamais elle fut venue : et cette folle espérance l’a réduit à une misère très réelle. Peut-on pousser plus loin l’ignorance et l’aveuglement.

Yang tchin tchai était un homme fort éloigné de cette erreur qui attribue du bonheur ou du malheur à telle ou à telle situation de lieu. Voici ce qu’il avait coutume de dire sur cette matière : Kuo pou passa de son temps pour un homme des plus habiles dans ce vain art du choix des terrains pour la sépulture. Qui doutera qu’il n’ait usé de son art, et employé toute son habileté prétendue, à choisir pour la sépulture de son père, un terrain des plus heureux, dont il put se promettre beaucoup de prospérité pour sa personne pendant sa vie, et une longue prospérité pour l’avenir ? Cependant il est mort dans les supplices, et sa famille est déjà éteinte. Après cette expérience qu’il a faite en sa personne de la vanité de son art, on ne laisse pas de lire les livres qu’il a laissés sur cette matière, et d’ajouter foi à ses préceptes. Sotte et ridicule erreur ! Le même Yang tchin tchai disait encore : Ceux qui font aujourd’hui métier de connaître les terrains heureux pour les sépultures, mettent en ce rang toute montagne, qui a la figure du bonnet qu’on nomme Sié : et ils prononcent sans hésiter, que quand un homme y est inhumé, ses descendants, à coup sûr, porteront de ces bonnets, c’est-à-dire, seront grands officiers. Ignorent-ils, ces charlatans, ou croient-ils que tout le monde ignore, que sous la dynastie Tang, ces sortes de bonnets se portaient par les kiu gin[1] ; et que ce fut sous la dynastie Song, que

  1. Second degré d'honneur.