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Il y a des gens qui se trouvant réduits à une extrême pauvreté, n’osent ou par timidité ou par honte, faire connaître leur misère. Quand je serais moi-même réduit à vivre du travail de mes mains, je dois, autant qu’il m’est possible, secourir ces pauvres honteux. Au regard de ceux qui contrefont les pauvres, et qui veulent vivre de ce métier, à la bonne heure, n’en ayez pas de compassion : il n’est pas juste que vous vous incommodiez pour entretenir leur fainéantise.

Lorsque vous combattez les défauts d’un autre, ne le faites pas d’un air trop sévère, c’est le moyen qu’il se rende docile. Lorsque vous l’exhortez à la vertu, ne lui proposez rien de trop difficile, et vos exhortations lui seront utiles.

Quand vous êtes sur le point d’entreprendre une affaire, examinez-la d’abord par rapport à vous, et ensuite par rapport au prochain ; s’il y a de l’utilité de deux côtés, ou si elle vous est avantageuse, sans être nuisible à autrui, entreprenez-la. Si de dix parts il y en a neuf à votre profit, et une au désavantage d’un autre, ne vous hâtez pas de l’entreprendre ; pensez-y encore. Si le bien qui vous en reviendra est égal au mal qui en arrivera à un autre, gardez-vous bien de suivre votre projet. A combien plus forte raison devez-vous y renoncer, si vous n’y trouvez un grand avantage qu’en faisant un tort considérable aux autres. Mais ce qui serait la marque d’une grande âme, et qui vous élèverait au-dessus du reste des hommes, c’est si vous ne craignez point de vous incommoder vous-même, pour rendre les autres heureux.

Si quelqu’un se trouve embarrassé dans une mauvaise affaire, dont personne n’a connaissance, et que vous travailliez à le tirer de ce mauvais pas, vous devez être bien déterminé à ne jamais parler du service que vous lui aurez rendu. Si un autre est dans l’indigence, et que vous songiez à le tirer de misère, il faut en le soulageant éviter avec soin jusqu’aux moindres lignes de fierté et d’orgueil.

Il y a deux sortes d’hommes, qu’il n’est pas facile d’approfondir : les uns qui sont véritablement humbles et modestes, qui parlent peu, qui s’observent, qui en usent bien avec tout le monde, qui ne se plaignent de rien, qui sont d’un discernement auquel rien n’échappe, qui ont des manières douces et franches, qui agissent uniment et sans façon, qui ne font pas valoir leurs talents : ce sont là des vertus du premier ordre.

Les autres encore plus impénétrables sont ceux qui savent se taire, qui se possèdent, qui sont artificieux, et aussi habiles à cacher leurs ruses, qu’ils sont hardis à avancer et à soutenir un mensonge, dont toutes les démarches sont autant de mystères, et dont les paroles sont comme un glaive à deux tranchants. C’est là le caractère d’un fourbe.

Quelque différence qu’il y ait entre ces deux sortes d’esprits, ils ne laissent pas d’avoir des traits de ressemblance : pour ne pas s’y laisser surprendre, il ne faut pas juger des hommes par les premières apparences, et par de simples dehors : il faut bien les connaître avant que de leur donner sa confiance. Je donne sujet à un homme de se mettre en colère, et il ne s’y met point : marque certaine ou d’une grande âme qui est maîtresse