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Si vous assistez un pauvre, ne vous informez point comment il est tombé dans l’indigence : cette connaissance pourrait vous indigner contre lui, et étouffer les premiers sentiments de votre compassion. Si vous admirez une bonne œuvre, ne soyez pas curieux de savoir par quel motif elle a été faite : il pourrait vous venir des soupçons, qui feraient évanouir l’envie que vous auriez d’en faire une semblable.

Un homme m’a obligation, et il me donne toutes les marques d’un mauvais cœur. Voilà l’occasion de pratiquer la vertu, et quoique mon cœur, bien différent du sien, souffre avec peine cette ingratitude, la pensée ne me viendra pas même de l’en punir.

Si un malin esprit me tend un piège dont j’ai su me garantir, le piège une fois découvert, je ne fais que rire de sa mauvaise volonté ; et c’est toute la vengeance que j’en tire.

Si vous êtes dans une haute fortune, et qu’un pauvre parent vienne vous visiter, prenez garde que dans l’entretien qu’il aura avec vous, il n’aperçoive de la fierté ou du mépris. Lorsqu’il vient à prendre congé, ne manquez pas de l’accompagner jusqu’à la rue ; c’est là faire le personnage d’un honnête homme, et le moyen de rendre sa fortune durable.

Quand vous traitez avec des personnes d’un rang beaucoup supérieur, il n’y a pas à craindre que vous leur manquiez de respect : vous devez être seulement sur vos gardes, pour ne point vous avilir. Quand de pauvres gens ont à vous entretenir d’une affaire, il vous est aisé de leur accorder une grâce ; mais il n’est pas tout à fait si facile de remplir à leur égard les devoirs de la civilité : c’est ce qui demande votre attention.

Ne contentez jamais tout à fait un désir et une inclination ; vous y trouverez plus de goût, et le plaisir sera plus piquant. Quand vous marquez de l’amitié à une personne, ne vous épuisez pas d’abord en démonstrations de bienveillance : laissez-en attendre de nouvelles qui puissent encore plaire.

Quand vous rendez un service, qu’on s’aperçoive que vous vous réservez à en rendre d’autres. Ce premier service sera reçu avec plus d’agrément et de reconnaissance. Si vous avez affaire à un fourbe, n’opposez à ses artifices que votre droiture et votre bonne foi : sa fraude et ses ruses retomberont sur lui-même.

Je ne demeure avec un homme sans vertu, que lorsque je ne puis pas m’en dispenser ; alors je lui fais bon visage : mais je n’en veille pas moins à la garde de mon cœur. Pourquoi forcer les autres à se conduire par nos vues, lorsqu’ils en ont de contraires auxquelles ils sont attachés ? Tout ce qui est violent ne saurait durer.

Si vous êtes modeste, on aura pour vous plus d’égard et de considération. Si vous vantez à tout propos votre mérite, c’est assez pour en faire douter.

Un ami me charge d’une affaire qui le touche, je ne dois rien oublier pour y réussir : si le succès ne répond pas à mes soins, il verra que je ne lui ai pas manqué dans le besoin.