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difficile de gouverner les peuples : celui qui n’a pas d’enfants, ne saura point jusqu’où vont les soins, et la sollicitude d’un père et d’une mère ; jugez du reste par ces deux exemples, et convenez avec moi qu’il ne faut pas parler légèrement des devoirs, qu’on n’a pas été dans l’occasion de remplir.

Intimes amis tant qu’on voudra, il ne faut pas pour cela se découvrir tout ce qu’on a dans l’âme, ni révéler les choses les plus secrètes : car enfin l’homme étant aussi inconstant qu’il l’est, l’amitié peut se refroidir, et alors on sera tenté d’abuser contre vous des connaissances qu’on tient de vous. Des amis ne doivent pas non plus dans un moment de chagrin se reprocher des vérités d’une manière trop sèche, la colère s’apaise ; on réfléchit sur ce qu’on a dit, et l’on a de la confusion de s’être échappé de la sorte.

Dans le moment que la colère s’empare d’un homme, qui est prêt de décharger son cœur contre celui qui l’a offensé, ne vous opposez pas brusquement à ses saillies : vous ne feriez qu’irriter sa passion ; mais attendez que son feu se soit un peu ralenti, alors insinuez-vous adroitement dans son esprit, prenez-le en particulier, et par des remontrances douces et charitables, aidez-le à se reconnaître, et à réformer lui-même son cœur. C’est ainsi qu’on réussit à corriger les hommes de leurs défauts.

Celui qui souffre la pauvreté sans murmurer, l’adversité sans se chagriner, les calomnies sans disputer, les importunités sans s’impatienter ; en un mot, un homme qui est le maître de son cœur et de sa langue ; c’est ce que j’appelle un homme de mérite, et qui est né pour les plus grandes entreprises.

C’est dans un festin, ou un voyage, qu’il échappe souvent des paroles indiscrètes. Quand un mot est une fois parti, un char attelé de quatre chevaux ne l’atteindrait pas : jugez de là combien l’on doit veiller sur ses paroles.

Savoir égayer la conversation sans hasarder certaines plaisanteries, c’est un talent qui a son prix, quoique Confucius ait dit qu’après un entretien libre et enjoué, il n’est pas aisé de prendre un air grave et modeste. Le mal est qu’on passe de l’enjouement à la plaisanterie, de la plaisanterie à la raillerie, et de la raillerie à la satire. Si ces petits jeux d’esprit finissent presque toujours par des inimitiés, à quoi sont-ils bons ?

On se trouve à un festin ou dans une assemblée ; ceux qui y sont avec vous, ne sont ni d’un même rang, ni d’un même caractère. Il y en aura dont les manières ont quelque chose d’irrégulier, ou qui ont quelque difformité dans le visage et dans la taille. Il s’en trouvera d’autres, qui bien que d’une naissance obscure, se sont élevés aux grands emplois, ou qui ayant été dans la splendeur et dans l’opulence, sont déchus de cet état. C’est dans ces occasions qu’il faut être très réservé à étudier toutes ses paroles, pour ne rien dire qui puisse choquer personne.

Si par quelque réflexion peu mesurée qui vous échappe faute d’attention, vous offensez quelqu’un des présents, outre l’incivilité grossière où vous