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où elle avait été tant de fois persécutée. Les missionnaires, après avoir remercié Dieu, qu’ils regardaient comme l’auteur de cet ouvrage, se transportèrent au palais, et y témoignèrent leur reconnaissance, avec ces transports naturels de joie, qui expriment beaucoup mieux que les paroles, les vrais sentiments du cœur.

Lorsqu’on annonça à l’empereur, qu’ils étaient venus pour avoir l’honneur de le remercier. « Ils ont grande raison, répondit-il ; mais avertissez-les d’écrire à leurs frères qui sont dans les provinces, de ne point trop se prévaloir de cette grâce, et de s’en servir avec tant de prudence et de sagesse, que je ne reçoive point de plaintes de la part des mandarins. »

Cet avis de l’empereur fait connaître, que ce n’a pas été sans se faire violence, qu’il a approuvé la religion chrétienne ; et qu’en cela il a sacrifié ses vues politiques à l’affection qu’il portait aux missionnaires : car il avait intérêt de ménager les Chinois ; et il devait craindre que cette démarche ne leur déplût beaucoup. Mais Dieu, qui tourne le cœur des rois comme il lui plait, l’a fait sans doute passer par-dessus toutes les considérations d’intérêt et de politique, pour l’accomplissement de ses desseins éternels.

Cette liberté accordée à la religion chrétienne dans un si vaste empire, où de tout temps les étrangers ont eu tant de peine à pénétrer, causa une grande joie dans tout le monde chrétien. Une infinité d’excellents sujets se présentèrent pour aller au secours du petit nombre d’ouvriers, qui, pour parler le langage de l’écriture, gémissaient sous le poids du jour et de la chaleur, et étaient bien éloignés de pouvoir suffire au travail immense, qu’offrait un champ si spacieux.

Dans deux voyages que le père Bouvet et le père de Fontaney firent en différents temps en France, ils retournèrent chacun à la Chine, avec un grand nombre de jésuites d’un mérite et d’une vertu distinguées, qui depuis ce temps-là, y ont établi et cultivé avec un travail infatigable des chrétientés très nombreuses.

Le feu roi Louis XIV, plus zélé qu’aucun prince pour la foi, non content d’en maintenir la pureté dans ses États, songea à l’étendre dans les climats les plus reculés ; et dans cette vue il assigna sur son trésor neuf mille deux cents livres de pension annuelle, pour entretenir vingt missionnaires jésuites à la Chine et aux Indes.

Louis XV, qui a succédé au trône et aux vertus de son auguste bisaïeul, qu’il s’est proposé pour modèle dès le commencement de son règne, a imité le zèle de ce grand prince pour l’établissement de la foi, et a continué les mêmes libéralités aux ministres de l’Évangile, qui la prêchent dans ces contrées infidèles.

On goûtait déjà la douce espérance de voir bientôt tomber l’idolâtrie, qu’on attaquait de toutes parts ; et l’on avait lieu de croire que si la Chine se déclarait une fois en faveur du christianisme, son exemple entraînerait toutes les nations voisines, qui briseraient comme elle leurs idoles, et recevraient sans peine le joug de la foi.