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les cœurs les plus insensibles. Ensuite tout se disposa pour la marche, qui devait se faire dans deux grandes rues tirées au cordeau, larges environ de cent pieds, et longues d’une lieue, pour aller gagner la porte de l’orient, éloignée de six cents pas du lieu de la sépulture, qui fut accordée au P. Ricci par l’empereur Van lié.

D’abord paraissait un tableau de vingt-cinq pieds de haut sur quatre de large, où l’on avait écrit en caractères d’or sur un fond de taffetas rouge, le nom et la dignité du père Verbiest. Plusieurs hommes soutenaient cette machine, qui était précédée d’une troupe de joueurs d’instruments, et suivie d’une autre troupe qui portait des étendards, des festons, et des banderoles. On voyait ensuite une grande croix ornée de banderoles, qui était portée entre deux rangs de chrétiens vêtus de blanc, tenant d’une main un cierge allumé, et de l’autre un mouchoir pour essuyer leurs larmes. Ils marchaient deux à deux, avec une modestie qui édifiait les infidèles.

A quelque distance, et entre deux rangs de luminaires, suivait l’image de la sainte Vierge et de l’enfant Jésus, tenant le globe du monde en sa main, laquelle était dans un cadre entouré de plusieurs pièces de soie, qui formaient une espèce de cartouche. Après quoi venait le tableau de S. Michel, avec des ornements semblables.

Immédiatement après, paraissait le portrait du défunt, avec l’éloge composé par l’empereur, et écrit sur une grande pièce de satin jaune. Il était environné d’une foule de chrétiens et de missionnaires, qui suivaient en habit de deuil. Enfin le cercueil paraissait accompagné des députés de la cour, et d’une foule de seigneurs à cheval. Cinquante cavaliers fermaient cette marche, qui se fit avec beaucoup d’ordre et de modestie.

Quand on fut arrivé au lieu de la sépulture, les missionnaires en surplis récitèrent les prières de l’église ; on jeta de l’eau bénite : on fit les encensements ordinaires marqués dans le rituel romain, et on descendit le corps dans un tombeau profond, entouré de quatre murailles de brique, qui devaient être fermées d’une voûte. Toutes ces cérémonies étant finies, les missionnaires écoutèrent à genoux ce que le beau-père de l’empereur avait à leur dire de la part de Sa Majesté. Ce fut ainsi qu’il parla.

« Le P. Verbiest a rendu de grands services à l’État. Sa Majesté, qui en est très persuadée, m’a aujourd’hui envoyé avec ces seigneurs pour en rendre un témoignage public ; afin que tout le monde sache l’affection singulière qu’elle a toujours eue pour sa personne, et la douleur qu’elle a de la mort.

La douleur que les missionnaires ressentaient de leur perte, et cette faveur surprenante de l’empereur, leur fermaient la bouche : ils ne savaient comment s’exprimer. Cependant le père Pereyra prit la parole au nom de tous les missionnaires, et fit au beau-père de l’empereur la réponse suivante.

« C’est moins notre douleur, dit-il, que l’extrême bonté de l’empereur,