Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jésuites, qui y avaient déjà un grand nombre d’établissements, et dont la vocation est d’aller partout où il y a lieu d’espérer de faire plus de fruit pour le salut des âmes. Le père de Fontaney qui professait alors les mathématiques au collège de Louis le Grand, demandait depuis plus de vingt ans la permission de se consacrer aux missions de la Chine et du Japon. M. Colbert l’appela avec M. Cassini, pour lui communiquer les intentions de Sa Majesté ; et c’est ainsi que ce sage ministre lui parla :

« Les sciences, mon Père, ne méritent pas que vous preniez la peine de passer les mers, et de vous réduire à vivre dans un autre monde éloigné de votre patrie et de vos amis. Mais comme le désir de convertir les infidèles, et de gagner des âmes à Jésus-Christ porte souvent vos Pères à entreprendre de pareils voyages, je souhaiterais qu’ils se servissent de l’occasion ; et que, dans les temps qu’ils ne sont pas si occupés à la prédication de l’Évangile, ils fissent sur les lieux quantité d’observations, qui nous manquent pour la perfection des sciences et des arts.

La mort de ce ministre, qui arriva alors, fit perdre de vue ce projet ; mais ce ne fut que pour un peu de temps. M. de Louvois, qui lui succéda dans la charge de surintendant des arts et des sciences, demanda aux supérieurs de notre compagnie des sujets savants, zélés, et capables d’entrer dans ces vues. Parmi le grand nombre de jésuites qui s’offrirent, le choix tomba sur six, qui furent préférés aux autres ; savoir, les pères de Fontaney, Tachard, Gerbillon, Bouvet, le Comte, et de Visdelou. Le roi les honora du titre de ses mathématiciens, et c’est en cette qualité qu’ils furent admis dans l’académie des sciences : il les gratifia aussi de tous les instruments de mathématique propres à faire des observations, de pensions réglées, et de présents magnifiques.

Comblés des bienfaits de Sa Majesté, ils se rendirent à Brest, où ils s’embarquèrent au mois de mars de l’année 1685 sur le vaisseau qui portait M. le Chevalier de Chaumont, ambassadeur extraordinaire, à Siam, d’où ils devaient se rendre à la Chine. Le roi de Siam ayant souhaité que le père Tachard revînt en France, pour amener avec lui des mathématiciens, qui demeurassent dans son royaume, il ne fut permis qu’aux cinq autres missionnaires de suivre leur destination, et de s’embarquer sur un vaisseau chinois, qui faisait voile pour Ning po.

Il est inutile de rapporter ce qu’ils eurent de fatigues et de dangers à essuyer, jusqu’à leur arrivée dans cette ville, qui est un très bon port sur la mer orientale de la Chine vis à-vis du Japon : ils les eurent bientôt oubliées à la vue de ces terres infidèles, après lesquelles ils soupiraient depuis si longtemps. Cependant leur vertu et leur confiance furent bientôt mises à une dure épreuve. Les mandarins de Ning po les reçurent d’abord avec civilité : mais cette politesse leur attira de fortes réprimandes de la part du vice-roi, qui étant l’ennemi déclaré du christianisme, prit des mesures pour renvoyer au plus tôt les missionnaires. Il écrivit pour cela au tribunal des rits, et lui présenta une requête, par laquelle il demandait qu’il fut fait défense aux vaisseaux chinois, qui trafiquent dans