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arbitre, et le choix tomba malheureusement sur le recteur des jésuites. Ce Père, après avoir bien examiné l’affaire, jugea en faveur du religieux franciscain.

Le vicaire général outré de ce jugement, tout équitable qu’il était, s’emporta jusqu’à excommunier le commissaire de l’ordre de saint François, qui soutenait son religieux ; le recteur des jésuites, qui avait prononcé en sa faveur ; et le gouverneur qui le protégeait. Il en vint même jusqu’à mettre la ville en interdit. Cette conduite était trop violente, pour pouvoir durer. Après quelque temps de trouble et d’agitation, les choses s’accommodèrent : on se pardonna mutuellement de part et d’autre ce qui s’était passé, et il n’y eût que les jésuites qui furent exceptés de cette paix. Le parti du vicaire voulut se venger d’eux avec éclat.

On n’imaginerait jamais le moyen diabolique qu’un homme de cette cabale inventa pour contenter sa passion, se mettant peu en peine que la religion pérît à la Chine, pourvu que les jésuites y périssent avec elle ; il alla trouver les Chinois, qui sont en grand nombre à Macao. « Les jésuites, leur dit-il, ont une ambition étonnante : la religion qu’ils prêchent dans l’empire, n’est qu’un prétexte dont ils se servent pour parvenir au projet qu’ils ont formé de s’emparer du trône : c’est sur la tête du P. Cataneo qu’ils veulent faire tomber la couronne : voilà le motif de tous les voyages que vous lui voyez faire. Remarquez, leur ajoutait-il, les endroits où ils se sont établis, depuis Canton jusqu’à Peking ; ce sont autant de postes convenables à l’exécution de leur dessein. Cette flotte hollandaise qui paraît depuis quelque temps sur les côtes, est là pour favoriser leur entreprise : le gouverneur de cette ville les assistera de toutes ses troupes : leurs chrétiens du Japon viendront se joindre à ceux qu’ils ont dans la Chine, et de tout cela il se formera une puissante armée, à laquelle il ne fera pas possible de résister. »

Les Chinois de Macao timides et crédules, ne manquèrent pas d’informer les magistrats de Canton, de la conjuration qu’ils venaient de découvrir. L’esprit des Chinois étant naturellement défiant et soupçonneux, on se persuada aisément, que comme la plus légère étincelle cause les plus grands embrasements ; de même les moindres révoltes entraînent quelquefois la ruine des plus vastes États, et que par conséquent on ne pouvait prendre trop de précaution.

L’alarme qu’on prit à Canton, se répandit bientôt dans les autres villes, et l’on disait déjà qu’on avait fait mourir le père Ricci à Peking : on n’attendait que la confirmation de cette nouvelle, pour traiter de la même sorte le père Longobardi, qu’on gardait à vue. La foi de plusieurs chrétiens fut ébranlée, et ils commençaient à douter de la vérité d’une religion, qui était prêchée par de si méchants hommes. Enfin le père François Martinez, qui était envoyé à Macao, et qui passait par Canton dans le temps de cette émotion générale, eût beau se cacher, un apostat le