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revenir, il parut craindre qu’à son retour il ne vînt à découvrir l’intrigue, et n’en témoignât son chagrin par quelque coup violent. J’y mettrai ordre, dit la femme, je vais préparer un vin empoisonné, dont je lui ferai boire. Peu de jours après le mari arrive. Vous avez bien fatigué, dit la femme, il faut un peu vous remettre, J’ai du vin qui vous attend. J’en ai peu, mais il est excellent. Apportez ce pot, dit-elle à sa suivante, que mon mari goûte un peu ce vin. La suivante instruite du poison se trouve embarrassée : elle n’avait pas le courage d’empoisonner son maître ; elle ne voulait pas non plus révéler le crime de la maîtresse. Voici l’expédient qu’elle imagina : ce fut de laisser tomber exprès le pot, de sorte que tout le vin se répandit par terre. Son maître naturellement colère, ignorant le service qu’elle lui rendait, la maltraita fort. Les jours suivants la maîtresse qui craignait qu’elle ne parlât, la battait cruellement sous divers prétextes, cherchant à la faire mourir sous les coups.

Sur ces entrefaites le mari fut instruit par un de ses frères de la conduite de sa femme, et du poison qu’on disait qu’elle lui avait préparé. Ce qui s’était passé dans la maison depuis son retour, était pour lui une confirmation assez sensible du rapport qu’on lui faisait. Il fit mourir sa femme sous les coups des mêmes verges dont elle maltraitait sa suivante. Ensuite il demanda à cette fille pourquoi elle n’avait pas tout découvert, plutôt que de se laisser si cruellement maltraiter. Je n’avais garde, répondit-elle ; c’était faire perdre en même temps la vie et la réputation à ma maîtresse : j’aimais mieux mourir moi-même. Son maître, partie par estime, partie par reconnaissance de ce qu’elle lui avait sauvé la vie, voulut la prendre pour femme : mais elle n’y consentit point. Ma maîtresse est morte honteusement, dit-elle, je ne devrais pas lui survivre : comment oserais-je prendre sa place. Non, je me tuerai plutôt. Son maître se contenta donc de lui faire des présents considérables, et de penser à la bien marier. Dès qu’on le sut dans le voisinage, ce fut à qui l’épouserait.


Un homme riche nommé Tchu yai ayant perdu sa femme, et n’ayant qu’une fille encore petite, se remaria. Il avait d’assez belles perles ; il les donna à sa femme, qui s’en fit des bracelets. Six ans après Tchu yai mourut mais dans une terre étrangère. Sa femme dans le fort de sa douleur et de son deuil jeta les bracelets de perles. Un fils d’environ neuf ans qu’elle avait eu du premier mari, ramassa ces bracelets qu’il trouva par terre et sans que personne en sut rien, les mit dans la cassette où sa mère avait son miroir, et d’autres petits meubles, dont elle n’usait point pendant son deuil. Quand ses frères et ses autres parents furent avertis de sa mort, ils se rendirent auprès de la veuve, pour aller chercher le corps du défunt, et le conduire à la sépulture de ses ancêtres. Sur le chemin était une douane, et il y avait peine de mort pour quiconque y serait trouvé saisi de perles. La cassette visitée, on y en trouva. Le crime est clair, dit le douanier. Il ne s’agit plus que de savoir qui en est coupable. Tsou[1] craignit pour la belle-mère, à qui appartenait la cassette,

  1. c’était le nom de la jeune fille qui avait alors treize ans.