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sont l’ornement de notre sexe. Il m’a paru qu’il était contre la bienséance et contre mon devoir, de lever les yeux pour vous regarder sur cette éminence, où vous vous étiez placé. Voilà ce qui m’a d’abord fait tenir les yeux baissés. Si je les avais levés ensuite, sur les magnifiques promesses qu’il vous a plu de me faire, c’était agir par ambition et par intérêt, sacrifier mon devoir à ces deux passions, et par là même devenir indigne de vous servir. Voilà mes excuses, et les raisons de ma conduite. Tching charmé de cette réponse, prit Tse vou pour son épouse.


Tsi déclara la guerre à Lou. L’armée de Tsi campant sur les frontières de Lou, les sentinelles virent une femme, qui portant un enfant entre ses bras, et en traînant un autre par la main, s’enfuyait vers les montagnes. Quelques soldats coururent après elle : elle abandonna l’enfant qu’elle portait, se chargea de l’autre, et doubla le pas. L’enfant qu’elle avait laissé, la suivait de loin et pleurait d’une manière capable d’attendrir jusqu’à des soldats. La femme cependant fuyait, sans seulement tourner la tête. Le général de l’armée de Tsi, qui se trouva proche, demanda à l’enfant qu’on avait pris, si cette femme qui fuyait était sa mère ; l’enfant répondit que oui. On lui demanda encore si l’enfant que sa mère emportait, était son cadet ou son aîné ; il dit que ce n’était pas son frère. La curiosité du général fut piquée. Il ordonna à deux cavaliers de suivre cette femme à toute bride, et de la lui amener, ce qui fut bientôt exécuté.

Dès qu’elle parut, quel est cet enfant, dit le général, que tu tiens entre tes bras, et quel est celui que tu as laissé derrière toi en fuyant ? Celui que je tiens, répondit-elle, c’est le fils de mon frère aîné. Celui que j’ai laissé derrière, c’est mon propre fils. Me voyant poursuivie d’assez près, et désespérant de pouvoir sauver les deux, j’ai abandonné le mien. Quoi, répliqua le général, une mère a-t-elle rien de plus cher que son fils ? Comment abandonner le vôtre, pour sauver celui d’un frère ?

Seigneur, répondit la femme, il m’a paru qu’il était de mon devoir de sacrifier ma tendresse et mes intérêts particuliers, au bien commun de ma famille. Si prenant un autre parti, j’avais par hasard échappé à vos soldats, et sauvé mon fils, en abandonnant celui de mon frère, je passerais pour intéressée ; dès lors je serais perdue de réputation. Notre prince, et tous ses sujets ont l’intérêt en exécration.

Sur cette réponse, le général fit faire halte à son avant-garde qui marchait déjà, dit à cette femme de s’en retourner chez elle avec son fils et son neveu, et dépêcha sur-le-champ un officier à la cour de Tsi, avec ce billet pour son prince. V. M. m’a chargé de la conquête de Lou ; je prends la liberté de lui représenter, avant que de m’engager plus avant, qu’il n’est pas temps de l’entreprendre. Il n’y a pas jusque aux villageoises de ce royaume qui ne sachent et ne gardent la maxime de sacrifier au bien commun tout intérêt particulier ; que sera-ce des Grands du royaume et des officiers de guerre ? L’officier que j’envoie à Votre Majesté lui racontera une aventure qui prouve ce que j’ai l’honneur de lui écrire. » Sur ce billet et sur le récit de l’aventure, l’ordre vint à l’armée de se retirer. Le roi de Lou instruit