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qu’un de moi, qui n’étais que sa servante. Autre sujet de tristesse qu’il a eu en mourant. Quoi ! voudriez-vous lui en donner un troisième après sa mort, en dégradant son épouse pour honorer une servante ? Y pensez-vous ? On dit, et il est vrai, que le zèle d’un bon sujet et la piété d’un bon fils, ne doivent jamais se ralentir par le nombre des années. Il ne m’est pas plus permis de me lasser du rang que je tiens à votre égard. Vous honorer, et vous servir, c’est mon devoir. S’il y a quelque honneur d’avoir donné un successeur à votre époux, cet honneur ne me dispense pas de ce que je vous dois comme à son épouse.

Ne parlons plus, dit la reine, de ce que nous étions vous et moi sous le feu roi mon mari. Son fils règne. C’est aussi le vôtre. Ainsi, tous volontaires que sont de votre part les honneurs et les services que vous me rendez, je ne puis les accepter sans faire une espèce d’injure au prince en la personne de sa mère.

La concubine ne répliqua rien : mais allant trouver le roi son fils, Prince, j’ai toujours ouï dire que le sage ne doit faire, ni permettre rien contre l’ordre. Le bon ordre ce me semble, consiste en partie, à maintenir les anciens rits, en sorte que chacun se tienne dans le rang qu’ils lui assignent. Cependant la reine épouse de votre père veut quitter son appartement, et me presse d’occuper le rang qu’elle tient à la cour. C’est me presser d’aller contre le bon ordre. J’aime mieux mourir que de le faire : et comme je vois la reine inflexible à mes remontrances, je la fléchirai par ma mort. En disant cela, elle se disposait à se donner un coup mortel. On l’arrêta et son fils fondant en larmes, s’efforça de l’apaiser, mais elle ne put consentir à vivre jusqu’à ce que la reine étant avertie de sa résolution, lui promit quoiqu’à regret, de conserver son rang, et de se laisser honorer et servir comme auparavant. Tout le monde fut également surpris et charmé de voir cet empressement dans deux femmes à user de tant de déférences l’une pour l’autre. C’est là ce qui mérite le nom de sagesse, et de vertu dignes des éloges de tous les siècles.


Une jeune femme d’une beauté rare, et d’une vertu reconnue, perdit son mari de fort bonne heure. Les plus riches du royaume la recherchaient à l’envi, mais fort inutilement. Le roi lui-même, informé de sa vertu et de sa beauté, la rechercha dans les formes, et lui députa un grand officier avec les présents ordinaires. Voici ce qu’elle répondit : mon mari m’a bien tôt laissé veuve, il est vrai ; mais je n’en aurai cependant jamais d’autre. J’aurais souhaité pouvoir le suivre mais il m’a laissé un fils qu’il faut élever. Bien des gens m’ont recherchée, tous l’ont fait inutilement, et lorsque je me croyais délivrée de ces importunes recherches, le roi lui-même les renouvelle. Est-il possible qu’on doute encore, si je ne pourrais point enfin oublier feu mon mari, pour me donner à un autre époux, et sacrifier mon devoir à une fortune éclatante ? Je veux prouver une bonne fois que je ne suis pas capable de cette lâcheté, et désabuser sur cela quiconque ne me connaît pas encore.

Après avoir parlé de la sorte, elle prend son miroir d’une main, un rasoir