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d’entretien ? C’est sans doute Ti pé you, répondit la reine. Comment le savez-vous, dit le roi, pour prononcer si affirmativement ? Je sais, dit la reine, que c’est le rit de mettre pied à terre devant la porte du palais ; et que ceux qui poussent le respect jusqu’où il peut aller, gouvernent tellement leur train, qu’il ne fait point de bruit, ou qu’il en fait très peu, quand ils passent devant la porte. Je sais encore qu’un bon sujet à l’égard de son prince, comme un bon fils à l’égard de ses pareils, ne sert point à vue d’œil, et fait exactement son devoir, dans les ténèbres comme en plein jour. Mais je ne connais que Ti pe you dans votre royaume qui ait cette exactitude : c’est pourquoi j’assure que c’est lui qui passe. Le roi fut curieux de savoir ce qui en était : il quitta la reine pour un moment, il s’informa qui avait passé, et sut qu’en effet c’était Ti pe you.

Cependant rentrant dans la chambre où était la reine : Madame, dit-il en souriant, j’en suis fâché, mais vous n’avez pas bien rencontré. La reine remplit une coupe, et la présentant au roi : puisque j’ai mal deviné, lui dit-elle, je vous dois des conjouissances, je vous les fais de tout mon cœur. A quel propos des conjouissances, demanda Ling kong ? C’est, dit la reine, que jusqu’ici il ne paraissait dans votre royaume qu’un Ti pe you ; vous en avez découvert un autre aussi exact que lui, c’est de quoi je vous félicite. La chose en vaut bien la peine ; car de la vertu de vos officiers dépend le bonheur de votre État. Cette réponse surprit le roi, et lui fit plaisir. Il le témoigna à la reine, et lui dit : il n’y a pas en effet deux Ti pe you. Vous aviez deviné juste. C’est lui qui vient de passer. La chose se divulgua, et fit honneur à la reine.


Ling kong roi de Tsi, avait d’abord épousé Ching ki du royaume de Lou. Il en avait eu un fils nommé Kuang, qu’il avait désigné son successeur. Ching ki étant morte, Ling kong prit les deux filles du prince de Song ; l’aînée Tchong tse pour épouse, et la cadette Yong tse pour concubine. Ling kong eut un fils de Tchong tse, qu’on nomma Yu. Yong tse entreprit de faire ôter à Kuang le titre de successeur, et de le faire passer à Yu, fils de la reine Tchong tse sa sœur. Yong tse vint réellement à bout de persuader à Ling kong ce changement. La reine Tchong tse tâcha de l’en dissuader, en lui représentant que ce n’était pas la coutume et que de semblables tentatives avaient ordinairement de funestes suites. Kuang est l’aîné, disait-elle, et est déclaré successeur : pourquoi le dégrader sans raison ? C’est chercher des malheurs de sang-froid. Si je m’en repens, dit Ling kong, c’est mon affaire. Tchong tse eut donc beau s’y opposer, on se moqua d’elle de ce qu’elle résistait ainsi à l’élévation de son propre fils et Ling kong poussé par l’intrigante Yong tse, déclara Kuang déchu de son rang, et désignant Yu pour son héritier, il lui donna pour gouverneur Kao lieou. Quelque temps après Ling kong tomba malade, et fut réduit à l’extrémité. Kao lieou fit quelques démarches pour préparer les esprits à l’élévation de Yu. Le succès ne fut pas tel qu’il se l’était promis. Ling kong n’eut pas plus tôt les yeux fermés, que Tsoui chu égorgea Kao lieou, et plaça Kuang sur le trône. On vit alors que la reine Tchong tse avait eu raison ; et chacun loua hautement son équité et sa sagesse.