Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tsou sa patrie. Cette prédiction vérifiée par l’évènement, fit grand honneur à sa mère, et on la regarda comme une personne fort éclairée dans les voies de Tien.


Pe tsong par son esprit était parvenu de bonne heure aux premiers emplois de la cour de Tsin : mais il y avait apporté un défaut dangereux partout, et encore plus dangereux à la cour qu’ailleurs. Par un excès de droiture il réfutait tout ce qu’on avançait, pour peu qu’il y entrevît la moindre apparence de fausseté, et il le faisait avec si peu de ménagement, qu’il couvrait souvent les gens de confusion. Sa femme qui lui connaissait ce défaut, l’exhortait sans cesse à s’en corriger. Mon mari, lui disait-elle, on dit que les peuples ont naturellement de l’inclination pour leur prince, avant même qu’il leur ait fait aucun bien. Mais on dit aussi qu’un voleur a naturellement de l’aversion pour celui qu’il a volé, quoiqu’il n’en ait point reçu de mal. C’est que les peuples attendent toujours du bien de leur prince, et le voleur craint toujours d’un homme qu’il a volé. Appliquez-vous cette réflexion, je vous en conjure, et soyez persuadé que s’il y a des gens qui aiment la droiture partout où ils la trouvent, il y en a encore bien plus qui la haïssent, parce qu’ils la craignent. La vôtre est redoutée, du moins de tous ceux qui n’en ont pas. Vous savez qu’ils sont en grand nombre : ce sont autant d’ennemis que vous avez, et qui vous feront sentir tôt ou tard les effets de leur haine. Ménagez un peu plus les gens.

Malgré les sages avis de sa femme, Pé tsong allait son train accoutumé. Un jour revenant du palais, il parut plus gai qu’à l’ordinaire. Il me semble, lui dit sa femme, voir sur votre visage un air de gaieté et de satisfaction que je ne vous ai pas encore vu. Peut-on savoir quelle en est la cause ? Aujourd’hui, répondit Pé tsong en s’applaudissant, je me suis trouvé au palais avec plusieurs officiers de mon rang. L’entretien a duré du temps, et j’y ai eu bonne part. Aussi tous d’une commune voix m’ont fait l’honneur de me comparer à Yang tse[1].

Pour moi, dit la femme, j’ai ouï quelquefois comparer les personnes qui parlent peu, et qui le sont d’une manière simple, à certains arbres qui n’ont nulle beauté, mais dont les fruits sont excellents. J’aimerais beaucoup mieux pour vous une comparaison semblable, que celle dont vous vous applaudissez. Car comme on vous compare à Yang tse, on peut comparer Yang tse lui-même à un bel arbre qui ne porte point de fruit. Yang tse, dit-on, parlait beaucoup, mais sans trop prendre garde à ce qu’il disait. C’est ce qui lui attira des affaires fâcheuses. Sur cet article la comparaison de vous à lui est assez juste mais je ne vois pas pourquoi vous en applaudir.

N’est-ce pas là, dit Pé tsong, votre ancienne chanson que vous rebattez sans cesse ? Vous tournez tout selon vos idées. Je veux vous en faire revenir une bonne fois : et voici le moyen qui me vient dans l’esprit. Je donnerai ici un repas à mes collègues ; nous ferons avant le repas une conférence. Vous

  1. Nom d'un philosophe.