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en user de la sorte. Monsieur, répondit la veuve, j’ai perdu mon mari il y a longtemps, je demeure avec neuf fils qu’il m’a laissés. Sur la fin de l’année, ayant mis tout en ordre pour le nouvel an, avec l’agrément de mes fils, je fis un tour à ma maison paternelle. Je dis en partant à mes fils et à mes brus, que je ne reviendrais qu’à nuit close. Partie erreur, partie appréhension de rencontrer quelque ivrogne, il n’en manque pas, comme vous savez, en ce temps-ci, je partis trop tôt pour m’en revenir. Je m’en aperçus en chemin et ne voulant pas prévenir le temps que j’avais marqué à mes brus pour mon retour, je me tins dans cet endroit écarté pour attendre[1] l’heure à laquelle j’avais promis de me rendre. Ce Seigneur la loua beaucoup, et l’honora du titre de Mou[2].


Mang lou homme du royaume Hoei, épouse en secondes noces la fille de Mong yang son compatriote. Il avait eu cinq fils de sa première femme, et il en eut trois de celle-ci. Les cinq fils du premier lit ne pouvaient souffrir leur belle-mère : elle avait beau les bien traiter et leur témoigner de l’affection, elle ne gagnait rien. Craignant que ce ne fût la faute de ses propres fils, elle les sépara entièrement ; de sorte qu’ils n’avaient rien à démêler pour le logement, les habits, et le vivre : tout cela fut inutile. Ces cinq fils du premier lit continuèrent à témoigner toujours beaucoup d’aversion pour leur belle-mère. Il arriva que le troisième de ces cinq frères, pour avoir négligé un ordre du prince, fut fait prisonnier, et il y allait de sa tête. La belle-mère en parut inconsolable : elle n’omit rien de tout ce qui pouvait lui adoucir sa prison ; et de plus elle se donna tous les mouvements imaginables pour empêcher qu’il ne fût condamné. Bien des gens lui témoignèrent leur surprise, de ce qu’elle se tourmentait si fort pour un jeune homme, qui n’avait pour elle que de l’aversion.

N’importe, leur disait-elle, je le regarde comme s’il était mon propre fils. Je ferai jusqu’à la fin tout ce que je pourrai pour lui. Quelle vertu et quel mérite y a-t-il à aimer ses propres enfants ? Quelle est la mère qui ne les aime ? Je ne puis me borner là. Le père de ces jeunes gens les voyant privés de leur mère, m’a épousée pour leur en tenir lieu. Je dois donc me regarder comme leur propre mère. Peut-on être mère sans tendresse ? Si celle que j’ai pour mes propres enfants, me faisait négliger ceux-ci, ce serait manquer d’équité. Une mère qui n’a ni équité, ni tendresse, que fait-elle au monde ? S’il n’a pour moi que de l’aversion, sa haine et ses mauvaises manières ne me dispensent pas de faire mon devoir. Les réponses de cette femme devinrent publiques. Le roi en eut connaissance : en considération d’une telle mère, il lui accorda la grâce de son fils. Depuis ce temps-là, non seulement ce fils peu soumis, mais encore ses quatre frères, n’eurent pas moins de soumission et de respect pour leur belle-mère, qu’en avaient ses

  1. Elles auraient pu soupçonner d'avoir voulu les tromper et les surprendre ; cela aurait pu diminuer leur confiance et leur attachement.
  2. Mou signifie mère. Il signifie maître ou maîtresse. Ainsi suivant la construction chinoise cela peut signifier mère maîtresse, ou maîtresse des mères. Le premier est plus naturel.