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qu’un malheureux, exposé à toutes les misères des plus viles conditions. Si vous faites si peu de cas de la sagesse, que vous perdiez ainsi le temps destiné à l’acquérir, il vaut mieux dès à présent prendre le métier de crocheteur, ou bien quelque autre semblable qui vous assure de quoi vivre. Si une femme ne sait rien faire, et si un homme dans sa jeunesse n’apprend rien, il faut qu’ils volent ou qu’ils soient esclaves. Voilà ce qu’on dit ordinairement, et rien n’est plus vrai.

Mong ko fut frappé de l’action et du discours de sa mère. Il prit Tse se pour son maître, et il profita si bien sous lui, qu’il devint un grand philosophe, et l’homme le plus célèbre de son temps. Sa mère le maria quand il fut en âge. Un jour, entrant dans la chambre intérieure où était sa femme, il la trouva peu modestement vêtue. Il en fut choqué, il sortit brusquement, et fut du temps sans la voir. Sa femme va trouver sa belle mère, et comme prenant congé d’elle : On dit communément, lui dit-elle, qu’une femme étant retirée dans sa chambre, son mari même n’y entre pas pendant le jour, ou très rarement. Dernièrement j’étais dans ma chambre vêtue assez négligemment ; mon mari m’ayant surprise en cet état, en a témoigné beaucoup de chagrin. Je vois qu’il me regarde comme une étrangère, Une femme ne peut avec bienséance demeurer du temps dans une maison étrangère, je viens donc prendre congé de vous, pour retourner auprès de ma mère.

Aussitôt Mong ko fut appelé par sa mère. Mon fils, lui dit-elle, quand un homme entre dans une maison, il doit s’informer si l’on y est. Il faut faire avertir par un domestique, ou du moins hausser la voix pour être entendu avant que d’entrer. Vous savez que c’est la coutume et c’est le moyen en effet qu’en entrant on trouve la salle en ordre. Pour ce qui est de tout autre appartement, quand on en ouvre la porte, on doit avoir la vue baissée. Vous avez manqué à cela, mon fils, c’est ne pas savoir les rits. Vous sied-il après cela d’être si rigide à l’égard d’autrui ? Mong ko reçut la réprimande humblement et avec actions de grâce, puis il se réconcilia avec sa femme.

Longtemps après Mong tse[1] étant à la cour de Tsi, parut un peu triste. Sa mère lui en demandant la cause, il évita de répondre nettement. Un autre jour qu’il était tout rêveur, il remuait son bâton en soupirant. Sa mère s’en aperçut et lui dit : Mon fils, dernièrement vous me paraissiez triste, et vous m’en dissimulâtes la cause. Aujourd’hui vous soupirez en remuant votre bâton. Qu’y a-t-il donc ? Ma mère, répondit Mong tse, on m’a appris qu’un homme sage ne doit aspirer aux emplois et aux récompenses que par les bonnes voies ; que quand les princes ne veulent pas nous écouter, il ne faut pas leur prodiguer nos conseils ; et que quand ils écoutent nos avis sans en profiter, il ne faut pas fréquenter leur cour. Je vois qu’ici

  1. Mong était son nom de famille. Ko son nom distinctif, ou petit nom, disent les Chinois. Tse, manière honorable de nommer quelqu'un.