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de ces sentiments. Il est facile d’en juger par cette maxime qui nous vient d’eux, et que nous lisons dans le Chu king. D’un côté le cœur de l’homme est plein de faiblesse et de penchant pour le mal. D’un autre côté le vrai bien, qui fait comme le centre de la raison, consiste en un point comme indivisible. Il faut une intention bien pure et bien simple, pour tenir toujours le vrai milieu.

On voit par cet endroit du Chu king ce que ces grands hommes pensaient d’eux-mêmes. Car ils se comptaient sans doute au nombre des hommes ; ils prononcent cependant en général que le cœur de l’homme est plein de faiblesse ; qu’il a peine à tenir le vrai milieu, qu’il a besoin de faire effort pour se conserver dans la pureté et la simplicité requise. Enfin nous voyons que tous les sages de l’antiquité, bien loin de se croire exempts de fautes, ont regardé comme un de leurs principaux devoirs le soin de se corriger. Si quelques-uns par ce moyen sont parvenus à n’en plus commettre, ce n’est pas qu’ils n’eussent un cœur fait comme les autres, et sujet aux mêmes faiblesses ; c’est qu’à force de se réprimer eux-mêmes, à force de veiller avec une attention continuelle sur leurs plus secrets mouvements, et surtout à force de se regarder comme pleins de défauts, ils sont enfin parvenus à n’en plus avoir. Je le vois clairement, mes chers disciples ; c’est là le chemin qu’il faut tenir ; mais je l’ai vu trop tard. Mes anciennes habitudes m’ont laissé dans le cœur la même faiblesse, que cause dans le corps humain une maladie invétérée.

C’est pour cela que je ne cesse de vous exhorter à y prendre garde de bonne heure, et à ne vous pas exposer aux mêmes difficultés que moi, en laissant vieillir vos défauts : tandis qu’on est encore jeune, que l’esprit a plus de vivacité et plus d’ardeur, que les soins du corps et d’une famille n’ont pas encore bien saisi le cœur, si l’on travaille tout de bon, l’on avance beaucoup sans tant de peine : au lieu que si l’on diffère, outre que les embarras du siècle croissent tous les jours, l’esprit se ralentit avec l’âge, et l’on n’a plus la même vigueur. S’il s’en trouve quelques-uns, qui ayant ainsi différé, ne laissent pas de parvenir à la vraie sagesse, du moins ne le peuvent-ils point sans des efforts extraordinaires ; surtout il ne faut pas différer au-delà de quarante à cinquante ans. Après ce terme, les désirs qu’on forme, n’ont ordinairement guère plus de succès, que ceux d’un homme, qui voyant le soleil se coucher et prêt à nous dérober sa lumière, voudrait l’arrêter sur notre horizon. C’est donc ce que Confucius voulait faire entendre, quand il disait, qu’à quarante ou cinquante ans on n’entend plus. Paroles bien remarquables, et qui tenant de l’exagération, renferment cependant une vérité sensible, vérité que le même Confucius exprime ailleurs en termes plus simples. Ce n’est point sans bien des efforts, dit-il, qu’on parvient à la vraie sagesse : si l’on n’y travaille de bonne heure, le moyen que la vieillesse, dont la faiblesse est le partage, les puisse y soutenir ? Hélas moi qui vous parle, et qui n’ai commencé que trop tard, je n’éprouve que trop la vérité de ces paroles. C’est ce qui me porte à vous presser de bien profiter du temps, pour ne pas vous exposer à un repentir assez inutile.