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de toute son autorité ; alors ce qu’il y a dans l’État d’officiers vertueux et fidèles, voyant que ces méchants renversent tout, voudraient par zèle pour l’État et pour le prince, les délivrer au plus tôt de cette peste. Mais ceux qu’ils souhaiteraient de détruire, ont eu soin de se précautionner : le prince est à eux, et ils sont en sûreté, par le danger qu’il y a de les attaquer. Ceux qui sont assez hardis pour le faire, ou échouent, et ils sont perdus sans ressource, ou ils réussissent, et en réussissant, ils offensent leur souverain, et jettent l’État dans des troubles, qui le plus souvent causent sa ruine. Aussi, dans le Tchun tsiou ceux-là sont traités de rebelles, qui faisaient mourir, sans l’aveu du prince, des gens qui cependant méritaient la mort.

En effet, un homme sage, quelque douleur qu’il ait de voir l’autorité du prince usurpée par d’indignes et de méchants sujets qui l’ont surpris ; et quelque zèle qu’il se sente de remédier à un mal, qui en entraîne avec soi tant d’autres, doit cependant se retenir ; et avant que de rien entreprendre, mesurer si bien ses démarches, que le prince et l’État lui en sachent gré ; quel qu’en puisse être le succès, comment puis-je me le promettre, en exterminant ceux que le prince chérit, qu’il ne juge point coupables, et auxquels il croit même devoir beaucoup ? N’est-ce point empiéter moi-même sur les droits du souverain ? Puis-je ne lui être pas odieux ? Puis-je me présenter devant lui ? Recevra-t-il mes hommages ? Écoutera-t-il mes excuses ? Ce serait un prodige sans exemple.

Ces indignes favoris sont à peu près dans un empire, ce que sont dans le corps humain certaines tumeurs malignes qui viennent quelquefois à la gorge. Ces tumeurs, quoiqu’incommodes, sont trop voisines du gosier pour être coupées. Si quelqu’un par impatience les veut couper, la mort est inévitable. C’est une impatience semblable, qui fit périr les Han et les Tang. Depuis l’empereur Hoen ling jusqu’à l’empereur Hien ti, l’empire se gouvernait, ou plutôt se bouleversait au gré des eunuques. Il n’y avait dans les emplois que des âmes basses, leurs créatures ; heureux les gens de mérite et de vertu, qui pouvaient par la retraite être à couvert de leurs coups ; on les persécutait partout. Tout l’empire en gémissait de douleur, et en frémissait de dépit. Enfin, quelques gens délibérant sur les moyens de remédier à ces maux, conclurent que les eunuques en étant les auteurs, il n’y avait qu’à les exterminer ; que tout serait fini. Teou vou et Ho tsin l’entreprirent, mais sans y réussir : il leur en coûta la vie. Yuen chao l’entreprit ensuite, et en vint à bout : mais cela causa de si grands troubles, que l’empire changea de maître : et ce fut là que finit la dynastie Han.

Il est arrivé la même chose sous les Tang. Les derniers empereurs de cette dynastie s’étaient livrés à leurs eunuques, qui bouleversaient l’État : il n’y avait personne, pour peu qu’il eût de zèle, qui ne le sentît vivement : mais Li chun, Tching tchin, et quelques autres furent les plus impatients et les plus hardis. Ils se liguèrent ensemble pour exterminer les eunuques. Ils échouèrent et périrent. Dans un autre temps Tsoui tcheng prit mieux ses mesures, et y réussit : mais son succès fit périr les Tang, et fut funeste