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quelquefois une vieille diseuse de bonne aventure, surtout à la fin des repas, pour en attraper les restes. C’est au pauvre mari de prendre patience : encore heureux s’il n’avait rien de plus fâcheux à souffrir.

Un de ses grands embarras, c’est de prendre son parti pour voir madame, ou souvent, ou rarement. Il ne sait comment s’y prendre pour contenter en ce point les caprices de sa princesse. Se présente-t-il souvent ? on refuse de l’admettre : l’admet-on ? il ne sort pas quand il veut. Laisse-t-il madame là ? Elle se croit méprisée et devient furieuse. Prend-il congé après l’avoir vue ? Il va, dit-elle, voir quelque autre. Pour madame, elle sort à son gré, et revient quand il lui plaît, quelquefois bien avant dans la nuit, quelquefois même au point du jour. Tantôt elle passe la nuit à jouer des instruments : tantôt elle est tout le jour les bras croisés devant un livre. Sa vie à proprement parler n’est qu’une suite de caprices. Nos rits ne défendent point d’avoir quelques concubines. On n’est point censé par là faire injure à son épouse. Si cette épouse est une princesse, il ne faut pas y penser, elle se croirait outragée, et ne le pourrait souffrir. Au moindre bruit, à la moindre apparence, au moindre soupçon, on voit sortir de l’appartement de madame quelque jeune esclave effrontée, qui vient espionner le mari. S’il reçoit une visite, et que la conversation dure un peu de temps, les vieilles viennent écouter pour tout redire à madame. Ce sont des soupçons étranges.

Enfin, ce qui rend encore plus insupportables ces princesses mariées çà et là, c’est qu’elles se vont voir souvent. L’entretien dans ces visites roule toujours sur les maris. Son extraction, ses manières, sa conduite, tout y est mis sur le tapis. Elles se donnent mutuellement des leçons de fierté et de jalousie : et quand quelqu’une de son fond serait raisonnable, et aurait un bon naturel, elle devient bientôt semblable aux autres. Aussi ceux qui jusqu’ici ont épousé des princesses, auraient bien voulu s’en dispenser. Ceux qui n’ont pu l’éviter, s’en sont presque tous fort mal trouvés. Le pauvre Ouang tsao surtout, en a été un triste exemple. Quoique ce fût un grand homme, également savant et brave, il fut pour une bagatelle indignement livré aux tribunaux, et mourut honteusement. Ton noan mourut de pur chagrin et dans la fleur de l’âge. Tant d’autres ont eu à peu près le même sort, qu’il serait trop long de les rapporter.

De plus, quand nous prenons une femme, ce que nous nous proposons principalement, c’est d’en avoir des enfants. Rien de plus contraire à cette fin, qu’une jalousie outrée : et l’on a vu par expérience, que ceux qui ont épousé des princesses, outre tous leurs autres chagrins, ont eu la plupart celui de mourir sans postérité. Qui suis-je moi, pour me flatter de pouvoir éviter toutes ces disgrâces ? Je n’ai donc garde d’y exposer et ma personne et ma famille. Ceux qui ont subi ce joug, y ont presque tous succombé. Si quelques-uns s’y sont soumis sans réplique, et l’ont souffert avec patience, c’est que vu les dispositions de la cour, ils ne pouvaient et n’osaient y faire passer d’abord leurs excuses, ni ensuite y porter leurs plaintes. Pour moi j’ai le bonheur de me trouver sous un