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et non pas une princesse. Les gens de ma sorte, quoique peu riches, ont à peine pris le bonnet, qu’ils sont mariés. Ils en sont quittes pour quelques présents de peu de valeur, et l’on n’en voit point de si pauvres, qu’ils aient peine à contracter une alliance honnête et proportionnée, dans laquelle ils vivent heureux et contents. Au contraire je fais réflexion que ceux qui ont épousé des princesses, ont vécu, du moins la plupart, dans le chagrin et dans l’amertume. C’est pourquoi, bien que je sache estimer comme je dois, l’honneur que me fait Votre Majesté, je suis si éloigné de m’en applaudir, que si je ne pouvais m’en défendre, je crois que je cesserais de vivre. Pardonnez, Grand roi, à ma simplicité et à ma franchise. Je suis fondé à penser et à parler ainsi sur bien des exemples, que notre histoire me fournit. Sous les Tsin on vit Ouang tun, Hoen ouen, et Tchin tchang, épouser chacun une princesse. C’étaient gens issus de familles très anciennes, également illustres et puissantes. Ces trois hommes avaient aussi de très belles qualités et un mérite reconnu. Cependant quel fut le fruit de ces alliances ? Ouang tun et Hoen ouen, auparavant les plus braves et les plus estimés de tous les jeunes seigneurs de la cour, s’abâtardirent à l’abri de la faveur que leur procurait ce mariage, ils vécurent dans une indolence peu séante à leur rang, et moururent dans le mépris. Pour Tching tchang le joug lui parut si pesant, qu’il contrefit le fol pour s’en délivrer. Depuis on a vu Tse king se brûler les pieds, pour éviter une pareille alliance ; Ouang yen, tout délicat qu’il était, se jeter tout nu au travers des neiges, et fuir celle à laquelle on l’avait lié ; Holi, qui égalait en beauté Long kong, se précipiter de désespoir dans un puits ; Lie tchuang, se frotter exprès les yeux, jusqu’à devenir presque aveugle ; Yn tchong, s’exposer aux derniers supplices, et ne les éviter qu’avec peine. Ce n’est pas que ces derniers manquassent de sens et de résolution : mais la qualité et l’autorité de leurs princesses les accablait : ils ne pouvaient porter leurs plaintes à l’empereur, la porte leur était fermée : ils avaient à dévorer seuls les derniers chagrins : et leur condition était bien pire que celle des derniers esclaves.

Pouvoir aller et venir, visiter ses amis et les recevoir chez soi, c’est une liberté commune à tout honnête homme. A-t-on épousé une princesse ? C’est madame qui va et vient à sa fantaisie : point de temps marqué pour son retour : plus de règle dans la maison. Il faut que le mari renonce à traiter jamais ses amis, et presque à tout commerce avec ses parents. Si quelquefois la princesse de bonne humeur, s’avise de le traiter un peu moins mal, d’abord une vieille nourrice fronce les sourcils, une bonzesse la seconde, toutes deux représentant à madame, qu’elle ne sait pas tenir son rang, et qu’elle gâte tout. Elle a de plus à sa suite une vile troupe d’eunuques, qui n’ont ni esprit, ni dextérité, ni politesse, qui font tout au hasard, et sans raison, qui parlent à tort et à travers, sans examiner ce qu’ils disent. Voilà le conseil de la dame. La nourrice prétend que son âge lui donne droit de haïr à mort quiconque entamera son crédit. La bonzesse fait la savante, et dit tant de choses sur l’avenir, qu’il est impossible que le hasard n’en vérifie une partie. À ces deux compagnes ordinaires, survient