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donne trop de mouvement aux grandes cordes, les petites sont inutiles, et l’harmonie n’est plus si belle ? C’est ainsi qu’il en arrive dans le gouvernement d’un État.

Une réputation trop subite et trop brillante en matière de gouvernement, ne s’étend pas loin, et dure peu. Tel a depuis longtemps dans tout l’empire une réputation constante : c’est sans beaucoup de bruit, et peu à peu qu’il se l’est acquise. Aussi est-ce ce que le proverbe dit : ce cheval prompt à galoper au sortir de l’écurie, n’est pas de ceux qui font cent lieues d’une traite. Avoir plus de réputation que de mérite, obtenir du prince des récompenses bien au-dessus des services qu’on a rendus, ce sont deux choses plus à craindre, ce me semble, qu’à souhaiter.


Hoen kong, roi de Tsi ayant pris Koan tchong pour ministre, lui dit un jour : mon ambition serait de voir mon gouvernement établi de telle sorte, qu’il n’y eût personne, même parmi le plus petit peuple, qui ne fût content, et qui ne dît que tout va bien. Croyez-vous qu’on en puisse venir là ? Oui, dit Koan tchong, je crois que cela se peut ; mais ce n’est pas en gouvernant suivant les règles d’une véritable sagesse. Pourquoi ?, demanda le roi. Par la raison, dit Koan tchong, qu’un petit bout de corde ne peut suffire pour tirer de l’eau d’un puits profond. Même entre les gens éclairés il y a différents ordres, dont les uns sont beaucoup au dessous des autres. A plus forte raison, la multitude ne peut atteindre aux sublimes vues du vrai sage. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle aille jusqu’à ce degré de perfection. Il suffit, et même il est à propos qu’elle sente que ceux qui gouvernent, ont des vues infiniment supérieures. Elle en est plus docile et plus soumise. Vouloir conduire le peuple comme par la main, et lui porter, pour ainsi dire, le morceau jusqu’à la bouche, c’est le gâter. Il faut seulement le tenir dans l’ordre, veiller à sa sûreté, et le faire paître, comme un berger fait paître son troupeau. Il ne faut à l’égard des peuples ni tyrannie, ni dureté : mais aussi ne faut-il pas craindre de le conduire, et de le faire agir. Avant que de publier une ordonnance, la faire courir de porte en porte, pour mendier des approbations, ce serait une méthode dangereuse. On examine ce qui convient : on l’ordonne en général à tout le monde : les sages l’approuvent, les autres le suivent. Cela suffit, et c’est ce qu’il y a de mieux.


Le même Hoen kong étant un jour à la chasse, et suivant seul loin de sa suite un cerf qu’on avait lancé, fit rencontre d’un bon vieillard dans une vallée assez agréable. Il demanda au vieillard, comment ce lieu s’appelle-t-il ? On l’appelle, dit le bon homme en souriant, la vallée du benêt vieillard. D’où lui vient ce nom ? reprit le roi. De moi-même, dit le vieillard. Comment donc, reprit le prince, vous avez la physionomie spirituelle, et vous ne paraissez rien moins que benêt. Voici l’histoire, dit le vieillard, puisque vous la voulez savoir. Ma vache avait fait un veau : quand il fut grand je le vendis, et j’en achetai un poulain. Certaines gens du voisinage dirent, comme en se moquant de moi : cela est impertinent, jamais vache n’a produit poulain, il faut exterminer ce monstre. Ils